Shotgun Stories ( Jeff Nichols, 2007 )
Les trois frères Hayes, Son ( Michael Shannon ), Kid ( Barlow Jacobs ) et Boy ( Douglas Ligon ) apprennent par leur mère le décès de leur père. Aux funérailles, Son s’en prend à la mémoire du défunt qui les a abandonnés, provoquant la fureur de leur demi-frère Mark Hayes. C’est le début d’une guerre des clans de plus en plus violente.
Attention : grand film. M’attendant à une sorte de polar vengeur comme le titre pouvait le laisser penser, j’ai été extrêmement surpris du ton très naturaliste de l’œuvre. A mille lieux des saloperies complaisantes de Lars Von Trier ( " tous les hommes sont corrompus et méritent de mourir, ma bonne dame " ) ou du dolorisme d’un Inarritu,
Shotgun Stories trouve le ton juste, entre empathie pour TOUS les personnages, refus de la complaisance ( les moments de violence sont tous hors-champ ) et surtout, le plus important : refus de la facilité qui consisterait à montrer un engrenage ininterrompu là ou, ici, les personnages ont encore la possibilité d’arrêter les frais. C’est cette croyante en son prochain, cette foi en la bonté humaine même dans des circonstances difficiles qui fait de
Shotgun Stories un extraordinaire manifeste humaniste qui tire le spectateur vers le haut comme le faisaient en leur temps un Capra ou un Kurosawa dans des registres différents.
Si tous ceux qui avaient vu
Bug étaient convaincus de l’évidence du talent de Michael Shannon, formidable, l’illustre inconnu Barlow Jacobs m’a sidéré par sa fausse nonchalance de pacifiste tiraillé entre son amour fraternel et ses convictions. Nichols s’inscrit dans le sillage des meilleurs cinéastes indépendants comme Kelly Reichardt ou Debra Granik ( et pour être honnête je le trouve encore meilleur que les deux femmes dont j’apprécie beaucoup le travail ), filmant des rednecks attachants avec respect et dignité. La séquence de confrontation entre Kid et son demi-frère Cleaman est bouleversante, de même que les hésitations de Son. On comprend les motivations de tout le monde, sans juger, sans prendre les personnages de haut.
C’est tellement bon de voir une réussite aussi éclatante, grand petit film qui s’impose en dépit de son format ( petit budget, durée inférieure à une heure et demie ) et qui représente ce que le cinéma indé US peut faire de plus remarquable à mes yeux.
Si vous avez un soupçon d’estime pour moi, vous COUREZ vous le procurer.
The Raid ( Gareth Evans, 2011 )
Jakarta, Indonésie. Une escouade de policiers est envoyée dans un immeuble contrôlé par un caïd de la drogue arrêter celui-ci. Mais l’assaut tourne au carnage et le policier Rama ( Iko Uwais ) tente de sortir les survivants du guêpier.
On a vendu ici et là
The Raid comme un gros film de baston ou ça n’arrête jamais de cogner. Ben c’est exactement ça. Ça bastonne facilement les deux tiers de la durée totale dans une succession de trucs complètement exagérés comme j’adore, et qui plus est la diversité des modes de baston permet de ne pas subir de sentiment de répétition. Quid de la mise en scène des combats ?
Tadam….
Ben j’étais sur le cul. Vraiment. Plans larges, lisibles, montage intelligent, combats chorégraphiés au millimètre : c’est tout simplement impeccable. Et tout le long en plus ! Si l’absence d’une réelle progression narrative limite l’implication du spectateur, reste que le fight à la machette (
) ou le 2 contre 1 de fin avec cet acteur hyper-flippant nommé Yahan Ruhian qui semble complètement invincible sont ANTHOLOGIQUES. Les arts martiaux indonésiens sont hyper-spectaculaires mais aussi ultra-violents et je ne comprends pas pourquoi les américains ont racheté les droits puisque de toute façon ils ne pourront jamais montrer la moitié de ce qu’on voit ici sans se taper une interdiction aux moins de 16 ans. Iko Uwais est très limité sur le plan dramatique mais son implication physique, elle, est extraordinaire. On en sera gré au réalisateur de se mettre au services des impressionnantes performances martiales de ses acteurs.
Sinon, le script est royalement débile, la musique dégueulasse, la photo un peu moche et certains retournements de situation difficiles à avaler. Gedat et Kakkhara vont faire une crise cardiaque si ils voient ça alors que je vois bien f4k3 ou jokerface prendre un royal panard devant. Sur le plan de la bourrinade pure, vous oubliez tout ce qu’on a vu depuis au moins dix ans à Hollywood :
The Raid réussit à faire tout ce qu’un
The Expendables foirait totalement, c’est-à-dire à bien filmer du gros combat sanglant ou on s’entretue à grands coups de tatanes dans la gorge et de poings dans la nuque.
La vengeance ( Truand 2 la galère, 2012 )
Agressés par des flics racistes, Morsay et Zehef sont condamnés à une peine de prison. Une fois sortis, leurs chemins divergent : alors que Zehef devient millionaire en vendant des T-shirt Truand 2 la galère, Morsay tente de draguer avec un succès tout à fait relatif.
Je suis lucide : vous allez probablement ne lire que cette chronique-là.
La vengeance de Morsay et ses potes est un monument de portnawak attardé, de situations idiotes et de message social assené avec la légèreté d’une division allemande.
Techniquement, c’est très très moche : la photo est l’une des plus dégueulasses de l’histoire du cinéma est le son a été enregistré n’importe comment, on n’entend rien une scène de dialogues sur deux. Morsay joue mal, Zehef un peu mieux mais le sommet de nullité reste atteint non pas par le bad guy - effectivement sosie de Benjamin Biolay comme l'a souligné BT, et qui reste dans l'hystérie totale en permanence - mais par la juge du début du film, qui rend à elle seule la séquence du tribunal tout à fait merveilleuse. Dialogue authentique visant à expliquer l’origine du pseudonyme de Zehef :
JUGE : Vous êtes accusés de blablabla…
ZEHEF : Je suis innocent !
JUGE : En tout cas vous avez un regard très….. Hum, comment on dit chez vous…. Très Zehef !
Cette superbe explication sera ponctuée d’un " me suis bien-je faite comprendre ? " de la juge, ce qui laisse penser que Morsay a dialogué lui-même le film étant donné que les juges et les avocats font des fautes de français tous les trois mots.
La vision du monde de Morsay est d’une grande complexité : les filles sont toutes des putes sauf les voilées, les blancs sont des flics skinheads racistes qui se tripotent la bite en écoutant The Cure. Parmi la succession de moments wtf produits par le film : Morsay et Zehef faisant fuir les skinheads agressant une pauvre musulmane voilée ; Morsay pétant la gueule à cinq mecs armés à lui seul et sans arme ; Morsay l’acrobate, Morsay au restaurant qui fait des bruits avec un verre d’eau dans sa gorge, Morsay qui emballe l’infirmière après avoir pris un coup de couteau, et surtout cette magnifique morale de fin de Zehef :
la vengeance est un plat que je mange tout de suite. Tellement philosophique.
Notons qu’on doit se taper 28 chansons de Truand 2 la Galère toutes placées n’importe comment dans le film, et qui rendent les dialogues inaudibles. Enfin, déception : Cortex apparaît très peu et le Shlaguetto qu’on voit n’est non seulement pas le vrai, mais en plus a l’extrême mauvais goût d’être un bon acteur.
Moins abject mais beaucoup plus rigolo que la purge de Dieudonné,
La vengeance est une œuvre à la hauteur de la personnalité de Morsay.
Les mois d’avril sont meurtriers ( Laurent Heynemann, 1987 )
Fred ( Jean-Pierre Marielle ) est un flic spécialisé dans les affaires sordides depuis que sa fille est morte et que sa femme en est devenue folle. Il suspecte un corps retrouvé dépecé et bouilli d’être celui d’un indicateur de la police et commence à harceler son principal suspect, Gravier ( Jean-Pierre Bisson ).
Après
Poussière d’ange la dernière fois, voilà une autre petite pépite du néo-polar au cinéma. L’ambiance désespérée est absolument réussie et Marielle est impérial en homme tellement miné par la vie que rien ne semble plus pouvoir l’atteindre ; face à lui, un tétanisant Jean-Pierre Bisson compose un personnage de psychopathe tout à fait crédible, et dans un second rôle François Berléand ne cabotinait pas encore.
Une spécificité de cette belle réussite consiste dans ses dialogues signés Bertrand Tavernier qui sont une force et une faiblesse en même temps : forts car ils sont très bons et extrêmement drôles ( Fred qui passe son temps à rabaisser Gravier, le moment what the fuck du flic qui imite Patrick Brion présentant le Cinéma de minuit sur France 3 !!! ), faibles car à l’instar des dialogues de Jeanson par exemple ils ont un côté artificiel qui détache parfois le spectateur de l’histoire.
L’intérêt principal est évidemment dans la confrontation psychologique Marielle/Bisson ou le flic cherche à pousser le truand dans ses derniers retranchements (" tu vois bien que t’es con ! ") tandis que l’autre contient plus ou moins facilement sa nature ultra-violente. L’aspect politique ( une circulaire probablement issue d’un gouvernement droitier donne des pouvoirs démesurés à la police, un ministre tente d’étouffer l’affaire sur laquelle Marielle enquête ) m’a moins intéressé du fait de son intégration un peu loupée au récit. La fin offre par contre un retournement de situation auquel je ne m’attendais pas du tout et qui m’a laissé à la fois heureux et insatisfait. Plutôt que de me demander si cet effet résistera à une seconde vision, je préfère me fier à mon ressenti initial qui m’a conduit à apprécier cette sécheresse et cette brutalité de la conclusion, même si je pense qu’elle aurait pu être mieux amenée encore une fois ( peut-être est-ce le cas dans le livre de l’excellent auteur anglais Robin Cook, que je possède mais n’ai pas lu à l’heure ou j’écris ). Belle mise en scène lente et resserrée de Heynemann, dont on peut estimer qu’à l’instar de Niermans sa " retraite " fut une perte notable pour le polar français.
Beau polar, quoi.
Le beau Serge ( Claude Chabrol, 1958 )
François ( Jean-Claude Brialy ) , malade de la tuberculose, retourne dans son village natal pour des raisons médicales. Il y retrouve Serge ( Gérard Blain ), un ami d’enfance qui a sombré dans l’alcoolisme depuis que son bébé est mort-né. Yvonne, la femme de Serge, attend un deuxième enfant dans l’indifférence générale.
Le beau Serge est un des films les plus importants de l’histoire du cinéma français puisqu’un an avant
A bout de souffle,
les 400 coups ou
Hiroshima mon amour, il constitue le premier film de la Nouvelle Vague, réalisé grâce à un héritage de la femme de Chabrol et qui contient toutes les caractéristiques du mouvement : liberté de ton, jeunes acteurs " débutants ", tournage en décors naturels ( dans le village ou Chabrol avait grandi, d’où un aspect très autobiographique de l’œuvre puisque le cinéaste avait également perdu un enfant ), budget réduit… Pour autant, n’a-t-on pas affaire à une œuvre valant plus pour la rupture historique qu’elle amenait que pour ses qualités propres ?
A mes yeux : NON, non et non.
Le Beau Serge a extrêmement bien vieilli et n’a pas grand-chose à envier aux classiques plus connus qui lui succèderont. La justesse de la description du village ( rempli d’alcooliques, de pères incestueux, de religieux déphasés et de gamines qui ont trop vite grandi ) sonne toujours juste et si Brialy est bon, c’est Gérard Blain qui transcende son rôle de raté pathétique incapable de surmonter sa souffrance. Cette histoire de chute et de rachat évite le pompeux ou le grandiloquent pour offrir un sentiment en demi-teinte, avec une fin ambiguë ou les personnages sont partagés entre espoir et fatigue ; les dernières séquences sous la neige sont d’ailleurs absolument sublimes. Je trouve que Chabrol a réussi quelque chose d’apparemment facile mais qui ne l’est pas du tout à mon sens : trouver le ton juste, arriver à raconter quelque chose de fondamentalement déprimant sans céder à la noirceur complaisante, sans accabler ses personnages. Et en dépit de quelques maladresses de jeunesse ( dans l’emploi de la musique par exemple ), il s’impose du peu que je connais de son œuvre comme mon Chabrol préféré après
Que la bête meure, largement du niveau d’un classique comme
Le Boucher.
Boris, bon ben je suis revenu quoi.