Quartier violent ( Hideo Gosha, 1974 )
Egawa ( Noboru Ando ) est un yakuza qui après avoir passé du temps en prison pour son clan s’est vu mis à la retraite d’office, propriétaire d’un bar hispanisant que son clan souhaite finalement reprendre. Ulcérés par la situation, les hommes d’Egawa décident sans l’avertir d’enlever une chanteuse sous la protection du clan pour obtenir une rançon.
C’est un Gosha un peu curieux parce que le casting et l’histoire font plutôt penser à un film de son contemporain Fukasaku, encore plus lorsque Bunta Sugawara arrive dans l’histoire. En tout cas, ce casting all-stars ( Akira Kobayashi, Tetsuro Tamba et Hideo Murota sont aussi dans la partie ) en fait l’un des polars japonais les plus agréables à regarder, d’autant plus que sans atteindre ses sommets
Hitokiri le châtiment et Goyokin, Gosha emballe ça avec classe et délivre quelques scènes ( le combat au rasoir avec le travesti, le duel final, le dérapage lors de l’enlèvement et surtout Bunta Sugawara en plein gunfight avec un casque sur la tête ) mémorables. Et depuis le temps que j’attendais de voir Noboru Ando en héros ( il est systématiquement le second rôle chez Fukasaku ), il confirme tout le bien que je pensais de lui, comme Akira Kobayashi en yakuza tiraillé entre son sens de l’honneur et les missions qu’on lui confie. Certes les personnages ne sont pas originaux pour un sou, et leurs psychologies absolument pas approfondies, mais le charisme des interprètes fait oublier ce bémol.
Sur les dix dernières minutes, on retrouve le Gosha de
Goyokin, le cinéaste de l’homme contre le système : les " vermines " se sont entretuées à la suite d’une machination organisée par les futurs tenants de l’économie japonaise. La charge contre le système financier est aussi brutale qu’intelligemment dissimulée derrière ce qui ressemblait à un ( bon ) film de genre de plus et Gosha confirme son attachement pour les figures de marginaux et d’hommes seuls contre l’organisation.
Du coup, qu’importe que le scénario soit parfois approximatif ( le " hasard " voulant que les tueurs engagés par Hideo Murota soient également au service du clan ennemi… mouais ). Il y a des tas de trouvailles, qu’elles soient visuelles ( le gunfight dans le poulailler, les mannequins ) ou scénaristiques ( Sugawara et Ando qui regardent avec détachement une sorte de ninkyo-eiga, films chevaleresques à la gloire des yakuzas plein d’honneur ). Et le sens du cadre du réalisateur est toujours aussi irréprochable.
Un excellent Gosha, l’un des plus frondeurs et des plus attachants cinéastes japonais des années 60-70.
Troisième film vu parmi ma liste de juillet 2012.
Skyfall( Sam Mendes, 2012 )
Lors d’une opération à Istambul, James Bond ( Daniel Craig ) est présumé mort. Après une courte retraite passée à boire et à faire la fête, M ( Judi Dench ) renvoie Bond affronter le terroriste Silva ( Javier Bardem ).
Je n’aime pas Sam Mendes, c’est un réalisateur que je trouve prétentieux et académique dont les productions ne m’avaient jusqu’ici pas provoqué le moindre début d’enthousiasme.
Pourtant, ce Skyfall est un James Bond réussi, et si
Casino Royale n’avait pas ressuscité pour un bon moment l’agent 007, ce
Skyfall serait le Bond le plus réussi depuis
Au service secret de sa majesté.
La scène d’introduction du film, ou Bond poursuit un ennemi en voiture puis sur un train, dépasse encore l’ouverture de
Casino Royale rayon action pure. Et si le côté old school de Mendes est irritant quand il fait du néo-noir (
les Sentiers de la perdition ) ou du film de guerre (
Jarhead ), il devient beaucoup plus pertinent dans le contexte Bondien, surtout après un
Quantum of solace massacré par une mise en scène hystérique insupportable.
Le James Bond 2.0 de
Skyfall est un curieux mélange de Bourne, de Jack Bauer, de Batman et forcément de Bond. C’est sur cet aspect que le film est moins convaincant, sur ce qui se rapporte au scénario " James Bond begins ", plus cohérent dans
Casino Royale : on a donc l’arrivée de Q et Moneypenny, le changement de M, quelques infos sur les origines de Bond ainsi qu’un humour référentiel concernant les autres épisodes ( le siège éjectable de
Goldfinger, la réplique de Q sur les gadgets ). Tout ça a déjà été fait en mieux dans d’autres sagas mais reconnaissons que c’est plutôt bien amené.
Globalement, l’interprétation est impeccable. Craig est parfait, Bardem est l’un des méchants les plus originaux de la série et plusieurs seconds rôles tirent leur épingle du jeu. L’action est d’un excellent niveau mais je trouve que le rythme faiblit beaucoup trop dans la dernière demi-heure. Mendes abuse aussi des jeux d’ombre mais au moins il apporte un soin esthétique évident à la franchise ( bonjour le directeur de la photographie des frères Coen ). A noter que pour la première fois depuis l’arrivée de Craig dans le rôle titre, l’humour est assez régulièrement employé mais pas de crainte, c’est beaucoup plus fin que les blagues de merde de Roger Moore. Et le thème de la déchéance physique du héros est en revanche mille fois mieux exploité que chez Nolan ( en gros, James Bond n’est pas 100 % requinqué après avoir fait trois pompes ).
Au final, une bonne surprise, surtout au vu de mon absence d’intérêt pour la filmographie de Sam Mendes et l'énèrvement qu'il a souvent déclenché chez moi. Donc qui sait, je crierai peut-être au chef d'oeuvre devant le Bond Nolanien.
Quai des orfèvres ( Henri-George Clouzot, 1947 )
Maurice ( Bernard Blier ) est marié à Jenny ( Suzy Delair ) qu’il soupçonne de lui être infidèle. Lorsqu’il apprend que sa femme a rendez-vous avec un vieillard libidineux, Maurice décide de se venger mais se retrouve face à un cadavre : le vieillard a été tué par Jenny. L’inspecteur Antoine ( Louis Jouvet ) enquête.
Pas le plus grand fan de Clouzot du monde ( je trouve des défauts pas négligeables au
Salaire de la peur et aux
Diaboliques, notamment leur pessimisme poseur ), j’ai retrouvé ici son habituel talent de metteur en scène conjugué à une empathie évidente pour ses personnages, à une noirceur de ton qui n’empêche pas de créer des figures humaines de chair et de sang. Sans un retournement de situation final pour me gâcher le plaisir, j’aurais placé ce Clouzot là au même niveau que son chef d’œuvre
le Corbeau, en l’état c’est un très grand film rempli de choses intéressantes.
D’abord, l’intrigue se déroule sans temps morts, avec l’habituelle rigueur de Clouzot pour en dire le maximum en quelques plans. La course de Bernard Blier dans la foule ou son interrogatoires sont, chacun à leur manière, des remarquables moments de mise en scène. Bernard Blier y trouve peut-être le rôle de sa vie, comme Louis Jouvet absolument formidable en policier blasé mais humain, sorte de Maigret en plus mince affublé d’un enfant noir ( ! ). Cette présence d’un mulâtre comme d’un superbe personnage de lesbienne ou d’un chauffeur de taxi anarchiste qui refuse de témoigner font de
Quai des orfèvres un film beaucoup plus subtil que ce qu’on pourrait penser a priori. Parmi les plus belles scènes du film, le dialogue ou Louis Jouvet admet sa trop grande sympathie pour la femme lesbienne " parce que vous êtes comme moi : vous n’aurez jamais de chance avec les femmes " ou la tentative de suicide d’un personnage digne des meilleurs films noirs américains. L’aspect plus proche du documentaire autour du monde des artistes est tout aussi réussi et le film grouille autant de vie que
Les enfants du paradis.
Quai des orfèvres est l’un des meilleurs films policiers français de tous les temps.
Le casse de l’oncle Tom/
Cotton comes to harlem ( Ossie Davis, 1970 )
Ed ( Raymond St Jacques ) et Digger ( Godfrey Cambridge ) sont deux policiers noirs patrouillant dans Harlem. Le révérend O’Malley ( Calvin Lockhart ), très populaire au sein de la communauté noire, leur semble particulièrement louche.
Pour les historiens du cinéma,
Shaft ou
Sweet Sweetback’s Baadasssss Song sont les films déclencheurs du phénomène blaxploitation, sauf qu’ils sont tous deux postérieurs d’un an au film d’Ossie Davis. Si quelque un peut m’explique ça, je serais très curieux d’avoir l’explication, mais pour l'instant c'est donc plutôt celui-ci que je considère comme le précurseur du mouvement.
Ce
Cotton comes to harlem ( le titre français est vraiment trop débile ) bénéficiait de deux choses extrêmement rares dans le genre : une absence de gros racisme anti-blanc et un vrai scénario du romancier Chester Himes. Qui plus est, Godfrey Cambridge est aussi charismatique que Fred Williamson dans
Black Caesar. Bref, durant les premières minutes, on se prend à espérer d’avoir enfin le très bon film de blaxploitation, et évidemment ce n’est pas le cas, pas DU TOUT.
Déjà, il y a une terrifiante incapacité du réalisateur à intéresser le spectateur à l’histoire, mais aussi à la rendre compréhensible. C’est bien simple, à mi-film on n’y comprend plus rien, qui est avec qui, pourquoi, qui court après qui… Et les réactions des personnages sont complètement débiles. Un exemple révélateur : la foule qui après avoir soutenu le révérend durant tout le film se détourne totalement de lui à la fin parce qu’il a trois gouttes de sang sur le visage. Je veux dire, à côté de ça, la mort de Marion Cotillard est d’une totale crédibilité.
Raymond St Jacques est une endive et Calvin Lockhart surjoue comme un porc. Les gunfights sont confus et si les poursuites en voiture sont un peu meilleures, reste qu’on retient surtout des effets humoristiques qui foirent tous aussi lamentablement les uns que les autres. Et surtout, c'est le premier blaxploit' que je vois ou la BO est aussi quelconque ( les Isaac Hayes, Willie Hutch et autres Marvin Gaye ne viendront que plus tard ).
De tous les blaxploitation que j’ai vu, c’est celui qui laisse le plus gros sentiment de potentiel gâché, de promesses non tenues. Un réalisateur plus talentueux comme Jack Hill en aurait peut-être fait un très bon blaxploitation, mais sous la caméra d’Ossie Davis, le résultat est un très mauvais film.
Désordre ( Olivier Assayas, 1986 )
Yvan ( Wadek Stanczack ), Henri ( Lucas Belvaux ) et Anne ( Ann-Gisel Glass ) cambriolent un magasin d’instruments de musique pour fournir du matériel neuf à leur groupe de rock. Ils tuent accidentellement le propriétaire et cet incident sonne le début de la fin de l’unité du groupe.
Premier long-métrage d’Olivier Assayas, cinéaste français difficilement classable, ce
Désordre est une belle surprise. Pour une fois au cinéma, le milieu du rock est abordé avec intelligence, sans gros sabots ni clichés. Les héros font face à toutes les difficultés les plus prosaïques : découragement, rivalités amoureuses, déprimes, départ du batteur pour son service militaire. Le casse ne sera certainement que le catalyseur de tensions existant déjà, avec par exemple ce trio amoureux à la
Jules et Jim formé par Yvan, Henri et Anne.
Désordre possède un défaut typique des premiers films : il est trop verbeux, trop explicite. Souvent les personnages nous décrivent des émotions qu’on avait déjà deviné ( les acteurs étant très bons ), des changements psychologiques qu’on avait compris. C’est un peu dommage qu’Assayas, contrairement à Pialat par exemple, doute de sa propre capacité à nous faire passer les sentiments par l’image, et ce d’autant plus qu’il en est vraiment capable ! Un autre problème est qu’au bout d’une heure, le film atteint un vrai climax émotionnel qui fait que la dernière demi-heure se regarde avec moins d’intérêt puisqu’elle donne l’impression de n’être qu’une conclusion trop étirée d'une histoire déjà terminée.
Le film est très soigné visuellement ( superbe photo bleutée ) et les parties les plus rock sont les meilleures : présence d’Etienne Daho, New Order à la BO, scènes de concert filmées avec dynamique et passages d’enregistrement, l’amour d’Assayas pour cette musique ne fait aucun doute. Et si l’ensemble des comédiens délivre une belle performance ( parfois pénalisée par des dialogues trop écrits ), c’est surtout Lucas Belvaux qui m’a impressionné en rockeur silencieusement dépressif, incapable de croire en son talent comme de garder la femme qu’il aime. L’intensité du climax lui doit énormément.
Désordre est une belle réussite, un premier film relativement maîtrisé d’un cinéaste dont des œuvres plus réputées (
Irma Vep par exemple ) ne m’avaient pas du tout emballé.
Et quelques revisionnages par ci par là rapidement :
- Le
Public Enemies de Michael Mann est définitivement un excellent film à mes yeux, l'un des meilleurs polars US contemporains. En dépit d'un duo Bale/Cotillard peu expressif comme d'habitude, Depp y est formidable et les scènes d'action incroyables. Le parti pris de montage " elliptique " m'a totalement convaincu, sans doute parce que la mode est à l'exact contraire ou tout doit " faire sens ".
- Le
Drive de Refn, revu à la lumière du bouquin de Sallis découvert entre temps. Bel exemple d'adaptation infidèle réussie, les qualités du film n'ont pas grand rapport avec celle du roman et réciproquement, le héros étant tellement différent entre les deux supports qu'on peine à le reconnaitre. Ceci dit je trouve le film bien plus captivant sur le plan visuel que scénaristique.
-
Le grand silence. Mon western italien non-Leonien favori, définitivement. Que ce soit clair.
Boris.