The Lineup ( Don Siegel, 1958 )
Des trafiquants de drogue font passer leur marchandise dans des objets anodins possédés par des touristes revenant d’une croisière. Dancer ( Eli Wallach ) et son patron Julian ( Robert Keith ) récupèrent ensuite les objets, ce qui n’est pas toujours sans difficultés.
D’abord, je tiens à dire que globalement, je n’aime pas les films ou le héros est un psychopathe, ce qui est le cas d’Eli Wallach ici. Dans ce cas, pourquoi
The Lineup m’a t-il autant enthousiasmé ? Déjà, parce que la violence du personnage n’est jamais surchargée, il semble même plutôt normal en début de film jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’il s’agit en fait d’un grand malade, prêt à tout pour récupérer la drogue. La scène avec le mafieux en fauteuil roulant n’a qu’un équivalent dans la sauvagerie à ma connaissance : celle ou Richard Widmark poussait une vieille handicapée dans un escalier dans l’excellent
Le Carrefour de la mort ( toutefois, je trouve que la sécheresse de la mise en scène de Siegel rend l’effet encore plus marquant ici ).
En effet Siegel, futur réalisateur d’œuvres marquantes telles que
l’Inspecteur Harry ou
Tuez Charley Varrick ! ( mon préféré ) est déjà en pleine possession de ses moyens ; les séquences de meurtre par Dancer sont remarquablement orchestrées , mais c’est également le cas de celles ou le tueur se révèle charmeur et séduit la mère d’une gamine à qui appartient une poupée remplie de drogue. Cette séduction provenant du personnage fait de
The Lineup un modèle de construction concernant la psychologie de son héros.
Deux réserves ; d’abord, le film démarre du point de vue des policiers et cette partie n’est de loin pas la plus intéressante, T
he Lineup ne décollant qu’avec l’entrée en scène du duo de tueurs. Ensuite, le personnage du chauffeur me semble assez mal traité et assez inutile. Pour autant,
The Lineup ( qui se conclue par une des meilleures scènes de poursuite en voiture de l’époque ) est un excellent polar sec et nerveux, ainsi que l’un des plus beaux rôles d’Eli Wallach, le Tuco de
Le bon, la brute et le truand.
Une série B comme je les défendrai toujours.
Deuxième film vu dans la liste de 30 de juillet 2012.
Wu Xia ( Peter Chan, 2011 )
Liu Jinxi ( Donnie Yen ) est un paisible artisan au sein de la Chine médiévale. Lorsque deux bandits attaquent un magasin de fournitures en sa présence, il parvient de justesse à les tuer, ce qui conduit le détective Xu Baijiu ( Takeshi Kaneshiro ) à penser que Liu Jinxi est en réalité un ancien tueur expert en arts martiaux.
On pense à
History of violence de Cronenberg, puis à Conan Doyle, puis aux
Experts… Bref à beaucoup de choses pas forcément liées directement au wu xia pian. Pour autant, ce mélange des genres fonctionne assez bien et l’intrigue se suit au départ avec intérêt, bien aidée par un scénario qui fonctionne impeccablement durant la première moitié avant de retomber comme un soufflé dans la deuxième pour virer au conflit familial sans souffle. Si certaines idées ( le détective réinterprétant le premier combat de Donnie Yen pour montrer que ce qui nous apparaissait comme une rixe absolument anarchique ou chacun faisait n’importe quoi était en réalité une opération savamment calculée par Liu Jinxi ) sont très intéressantes, la mise en scène alterne entre le meilleur et le pire. Pour le meilleur, d’excellentes chorégraphies martiales ( merci Donnie Yen ) et une lisibilité totale. Pour le pire, des effets de style à la con ( et que je te montre tes nerfs vu de l’intérieur, et que je t’abuse totalement du ralenti ), racoleurs et surtout très moches. D’ailleurs, le fait de rajouter une espèce de pseudo musique techno inaudible aux combats n’était pas du tout du meilleur effet.
Si on peut s’estimer heureux du retour des vétérans Kara Hui et Jimmy Wang Yu dans la dernière partie du film, il n’en reste pas moins que les deux acteurs principaux ne sont pas à la hauteur. Kaneshiro semble s’ennuyer poliment et si Donnie Yen est irréprochable martialement, question composition il est plus que limité.
Alors certes c’est bourré de défauts mais au moins, quand ça cogne, ça cogne bien. Loin de l’académisme d’un Ang Lee ou d’un Zhang Yimou, le film beaucoup plus modeste de Peter Chan tente de conjuguer l’influence des séries télé occidentales au monde du wu xia pian avec une relative réussite. D’où un résultat très bancal mais devant lequel, honnêtement, j’ai passé un bon moment. C’est déjà ça.
Le quatrième homme ( Phil Karlson, 1952 )
Un homme mystérieux ( Preston Foster ) engage trois repris de justice en leur faisant du chantage, afin que ceux-ci attaquent un fourgon blindé. Joe Rolfe ( John Payne ), un chauffeur, est injustement accusé du coup. Une fois relâché faute de preuve, Rolfe se lance sur la piste des bandits.
Beaucoup de choses intéressantes dans ce polar nerveux mais pas totalement satisfaisant sur la durée. D’abord, un casting des plus judicieux : si j’aime beaucoup John Payne ( vu notamment chez Allan Dwan ) c’est surtout les gueules pas possibles des méchants qu’on retient ici, avec ce trio exceptionnel composé de Jack Elam ( le mec avec un strabisme qui attend un train au début d’
Il était une fois dans l’ouest ), Lee Van Cleef et Neville Brand ( le psychopathe de
Mort à l’arrivée ), autrement dit les trois mecs que vous détesteriez le plus voir en bas de chez vous. La mise en scène assez atypique de Karlson, qui s’attarde longuement sur les visages, exploite judicieusement cette galerie de tronches patibulaires.
Un autre aspect du film qui m’a séduit : l’amoralité du héros, qui ne se lance dans la traque qu’en vue de se faire " dédommager " plutôt que pour faire arrêter les vrais coupables. Rolfe n’est ici que pour l’argent, ce qui en fait un personnage en demi-teinte, moins sympathique que ce qu’on pourrait croire à première vue. On notera aussi un judicieux usage de l’ellipse : Rolfe rentre dans un bureau sur ordre des policiers et ressort en se tenant le vendre ; ni racolage, ni effets de style inutiles, juste la série B comme on l’aime, celle qui fait confiance à l’intelligence du spectateur pour lire entre les lignes.
Pour autant, l’énergie de Karlson se déploie surtout durant le début du film et celui-ci peine à maintenir le rythme tout du long. L’intrigue sur la réunion des gangsters ( ils opéraient masqués et ne peuvent donc pas se reconnaître ) traîne en longueur et les face-à-face entre John Payne et Lee Van Cleef deviennent répétitifs. L’amourette entre le héros et la fille du commanditaire fait pièce rapportée et certains retournements de situation m’ont semblé assez mal écrits ( le sort du personnage de Jack Elam notamment ). Ceci dit, le commanditaire est un personnage tout à fait intéressant, son plan ayant d’ailleurs inspiré deux films très différents des décennies ultérieures :
Reservoir Dogs ( pour le fait que les bandits ne se connaissent pas ) et
l’Affaire Thomas Crown ( pour le fait qu’ils ne connaissent pas non plus le planificateur du braquage ).
Un très bon polar qui aurait mérité un peu plus de rigueur scénaristique et de constance dans la mise en scène.
Black caesar ( Larry Cohen, 1973 )
Frappé adolescent par un flic blanc, Tommy Gibbs ( Fred Williamson ) décide de devenir le parrain d’un système mafieux uniquement composé de noirs. Mais l’avidité finit par ronger Tommy…
Remake ou plutôt version black du classique
Le Petit César de Mervyn Leroy, ce blaxploitation réputé est globalement plutôt emmerdant et se regarde sans grand enthousiasme. L’intrigue mafieuse est du vu et revu du côté des films de gangsters des années 30 mais elle a le mérite de permettre suffisamment d’action pour que le spectateur reste éveillé pendant une heure et demie.
Le scénario est comme d’habitude aussi con que simpliste, avec l’ami Fred qui va en fin de film résoudre son trauma originel en pétant la gueule au méchant blanc même si la séquence finale, ou il marche blessé à mort et poursuivi par des gamins des rues sur fond de James Brown, est la plus réussie du film. A propos de James Brown, sa bande-originale est absolument géniale ; je sais que je me répète beaucoup et qu’à chaque fois que je vois un blaxploitation raté je loue la BO mais quitte à voir des mauvais films, il est toujours plaisant d’avoir des musiques d'une qualité aussi élevée. Sinon, à la surprise générale Fred sera trahi par son avocat blanc… ses frères noirs lui avaient pourtant dit de ne pas s’acoquiner avec cette racaille !
Curieusement, Fred Williamson qu’on a pu voir dans des films aussi pitoyables que
White Fire est ici non pas un élément nanar mais un véritable atout pour le film tant son énergie et son charisme sont impressionnants. Au vu de l’idiotie de l’histoire, il mérite d’autant plus de respect que les débilités qu’il aligne auraient pu ridiculiser n’importe quel autre acteur. Ainsi,
Black caesar parvient à " réussir " ( c’est assez relatif tout de même ) ses séquences émotions grâce à un acteur hyper-impliqué. Si Larry Cohen n’est certainement pas le top des cinéastes, les quelques séquences de poursuites sont regardables, ce qui n’est pas du tout le cas des scènes de morale racialiste.
En résumé,
black caesar est un blaxploitation standard, moins bon que
The Mack ou les films de Jack Hill mais à peu près regardable quand même. Au vu de sa réputation élogieuse, on peut quand même penser qu’il faudrait remettre 2-3 choses à leur place et casser un mythe : non,
black caesar n’est certainement pas un classique cinématographique.
Coup de torchon ( Bertrand Tavernier, 1981 )
Dans l’Afrique équatoriale française, Lucien ( Philippe Noiret ), unique policier de la ville, est la cible des moqueries de toute la collectivité. Petit à petit, Lucien se convainc que Dieu l’a chargé de purifier la ville.
Un des films préférés de kakkhara, et surtout une formidable adaptation d’un de mes romanciers préférés, le génial Jim Thompson. A ce niveau-là c’est un sans faute : Tavernier a tout compris à l’univers de l'écrivain, à son humour très noir et à la psychologie de son anti-héros. Mais la plus grande qualité de ce
Coup de torchon réside dans ses comédiens qui sont tous impériaux. Le dialogue surréaliste entre Noiret et Marielle sur la responsabilité du poteau écrase tout ce qu’a écrit Audiard dans sa vie, tandis que Guy Marchand est totalement inoubliable en gros con raciste comparant les femmes noires et les vaches. Les répliques de l’espèce d’attardé joué par Eddy Mitchell sont toutes plus mémorables les unes que les autres, par exemple :
- Fais attention à pas m’ombrager Lucien
- T’ombrager ?
- Je parle français je pressure. M’ombrager, c’est très clair.
[…]
- Qu’est-ce que tu crois qu’il a voulu dire ?
- Ben, c’est rapport à ton métier. T’arrêtes les gens, tu les mets à l’ombre.
Il est d’ailleurs curieux de constater que non seulement les deux meilleures adaptations de ce romancier typiquement américain qu’est Thompson sont françaises ( le magnifique
Série Noire d’Alain Corneau est peut-être encore meilleur ), mais aussi que les deux se rapprochent du mouvement littéraire de l’Oulipo, avec dans l’un Perec aux dialogues et dans l’autre un style qui rappelle beaucoup Raymond Queneau.
Gros respect à Tavernier également pour avoir gardé les aspects les plus dérangeants de son personnage principal ( il tue un noir innocent sans en éprouver la moindre gène ) et pour y avoir inséré ici et là une critique assez subtile du colonialisme qui jamais ne vient parasiter le propos général. Le seul point qui m’empêche d’y voir un chef d’œuvre est le fait qu’à mes yeux, le film peine un peu à se conclure et que les dix dernières minutes sont inutilement étirées. Pour le reste, un très grand film français aussi cynique que drôle.
Boris.