Hors Ligne Membre Inactif depuis le 09/07/2024 Grade : [Légende] Inscrit le 13/03/2004 | Envoyé par kakkhara le Mercredi 08 Juin 2011 à 15:15
==>Ce sera en prévision de lecture pour plus tard. Petit homme tu pleures de François Koltès : Nous sommes dans un ville de garnison. Pendant la guerre d'Algérie, des personnages vont entrecroiser leurs destins, essayer de vivre malgré leurs souvenirs marqués par d'autres guerres. C'est simple et puissant. Au fur et à mesure que se suivent les personnages, on est de plus en plus absorbé par la beauté résultant du tableau d'ensemble. Roman court, se lisant en deux heures environ, il laisse en revanche un souvenir inoubliable. Pour ma part c'est la deuxième fois que je le lis et j'ai été autant pris que la première fois alors que je savais ce qui allait arriver. Des personnages on ne peut plus communs, on ne peut plus anonymes, dont Koltès nous dévoile les beautés cachées. Quand une fiction rejoint la réalité, la brode et la transforme, tout en restant aussi crédible qu'un article de journal sans en avoir la froideur malencontreuse (voire l'article cité à la fin du roman), on ne peut que crier au miracle pour le talent d'un conteur hors pair. Le pire étant que j'étais tombé complètement par hasard sur ce livre, en cherchant du Bernard-Marie Koltès ^^. Nouvelles asiatiques et Le mouchoir rouge, de Joseph Arthur de Gobineau : 2 recueuils de nouvelles réunies de Gobineau. Les nouvelles asiatiques se passe en proche orient et mettent en scène des personnages de la perse et de l'afghanistan de l'époque principalement. Le mouchoir rouge comprend les souvenirs de voyage de Gobineau qui a voyagé non seulement au proche orient, mais également en terre neuve et en Grèce et sûrement ailleurs. Scaramouche : ouvrant le mouchoir rouge, elle met en scène un personnage de la comedia dell'arte, scaramouche, entouré d'Arlequin et d'autres illustres personnages. On a évidemment une double vie entre Scaramouche et le héros qui en joue le rôle sur les planches. L'humour vient de ce que ce personnage va vivre une aventure tout à fait digne de son rôle. On a donc ici presque une mise en abyme, d'une intrigue digne de la comedia dell'arte vécue par des gens du spectacle faisant cette même profession. Mademoiselle Irnois : Parmi les nouvelles de Gobineau, celle-ci est totalement atypique par la tendresse que professe Gobineau, habituellement complètement misanthrope, pour son "héroïne". Mademoiselle Irnois est une jeune handicapée qui va vivre un amour impossible et malgré son retirement se retrouver en butte aux tourments du monde du nouvel empire (il semble que Gobineau rejoigne Hugo dans l'idée qu'il se fait de cette période). souvenirs de voyage : 3 nouvelles ayant comme véritable sujet des lieux où Gobineau a séjourné, sur 3 trames complètement différentes, dont la dernière, La chasse au caribou est un modèle de verve ironique. Adélaïde : oeuvre qui ressemble plus à Gobineau que mademoiselle Irnois, Adélaïde met en scène une jeune fille de 16 ans rivale amoureuse de sa mère. Les deux femmes usent alors de toutes les ruses et cruauté pour conquérir l'objet aimé. la danseuse de Shamaka : ouverture des nouvelles asiatiques, récit qui s'inscrit dans la veine romantique. Un jeun officier espagnol arrive en exil en moyen orient où il s'engage dans l'armée, mais fait la rencontre d'une femme qui a été enlevée à sa tribu petite et ne vit que pour se venger de ses tuteurs. L'illustre magicien : une autre ode à la gloire de l'amour qui met en scène un homme amoureux de sa femme qui la quitte cependant pour rechercher la puissance par l'apprentissage auprès d'un magicien. histoire de Gamber-Aly : Histoire à l'ironie délicieuse, gamber-aly est racontée par un astrologue qui a prédit à gamber aly qu'il serait premier ministre. Or ce Gamber-Aly se révèle être lache et pusillanime ainsi que cruel. Il gravit cependant les échelons et passe pour quelqu'un du premier mérite. La guerre des Turcomans : récit d'un désastre qu'est cette guerre menée par des hommes sans le moindre matériel corret étant donné que les généraux ont vendu les bons équipements pour leur profit. Les amants de Kandahar : sûrement la plus aboutie des nouvelles asiatiques, qui de scénario fait très clairement penser à Roméo et Juliette (qui d'ailleurs semble une lecture de chevet de Gobineau). La vie de voyage : sûrement la moins intéressante du groupe, qui raconte le voyage d'un occidental et de sa femme dans une caravane, dans un trajet qui est celui que Gobineau lui-même a parcouru. Le problème de Gobineau, c'est son style souvent lourd et ampoulé. Bon c'est aussi un personnage détestable, misanthrope, auteur du traité sur l'inégalité des races, imbu de sa propre valeur et révolté par l'incompétence systématique des autres. Cependant perce toujours dans ses nouvelles, une ironie absolument délicieuse qui rend le tout très amusant à lire et qui passe tout à fait les défauts de l'ensemble. Certes Gobineau n'est pas un Lamartine, mais il sait malgré tout écrire. Et de temps à autres on trouve de réels petits bijoux cachés dans l'ensemble (Mademoiselle Irnois en est le plus flagrant exemple, cette nouvelle est juste fabuleuse.) L'enfant de nulle part et Franc-sorcier de Roger Zelazny : Le clan Det, adepte de la magie noire et redouté partout, est anéanti par un sorcier blanc, le vieux mor, et des armées d'archers centaures. Mais personne n'ose tuer le fils de Det, un bébé retrouvé dans les ruines du chateau. Mor ouvre alors un portail entre les mondes et échange le fils de Det contre un bébé d'un autre monde. Le fils de Det, magicien, va donc vivre dans notre monde, tandis que Mark, fils de technicien, va grandir dans un monde où la magie est réalité, et d'où la technologie a été bannie suite à un cataclysme. Mais Mor a fait une erreur en pensant que l'équilibre serait conservé. En effet Mark développe des machines de plus en plus dangereuses. Or Mor est à la veille de la mort (blague ^^), et le fils de Det devient alors le seul espoir. Cycle intéressant de Zelazny, connu pour son inspiration par les anciens mythes. On a ici le combat de la technologie contre la magie, combat des antiques dragons contre les avions de chasse. C'est bien écrit, et novateur pour son époque. Zelazny est sûrement l'un des seuls réellement bons auteurs de hard fantasy, avec Tolkien et Glen Cook. L'intrigue tient en haleine d'un bout à l'autre du récit, les personnages ne sont pas très fouillés, mais pas non plus les ombres chinoises habituelles des romans de ce genre. Bref tout ce qu'il faut pour passer un bon moment.
___________________ "_Je joue attirance mortelle sur mon pisteur invisible et je t'attaque avec. |
Hors Ligne Membre Inactif depuis le 31/01/2021 Grade : [Nomade] Inscrit le 30/10/2005 | Envoyé par BorisPreban le Mercredi 08 Juin 2011 à 18:16 Ils ont un lien ? En te lisant j'ai effecitvement pensé à Bernard-Marie Koltès, le mec qui a écrit " Dans la solitude des champs de coton " je crois, mais je ne sais absolument rien sur le Koltès dont tu parles. Boris, sinon, j'ai pas pigé tout de suite que tu parlais de nouvelles et pas de romans, et j'ai pensé " mais quel gros malade ce gars ".
___________________ Je sais pas toi mais moi j'me fends la gueule. |
Hors Ligne Membre Inactif depuis le 09/07/2024 Grade : [Légende] Inscrit le 13/03/2004 | Envoyé par kakkhara le Mercredi 08 Juin 2011 à 20:29 oui ils sont frères. Merci internet ^^.
Et c'est plutôt pas mal, "Dans la solitude des champs de coton", je cherchais justement d'autres oeuvres pour mieux connaître l'auteur quand je suis tombé sur son frère. Et je ne regrette vraiment pas.
[ Dernière modification par kakkhara le 08 jun 2011 à 22h19 ]
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Hors Ligne Membre Inactif depuis le 09/07/2024 Grade : [Légende] Inscrit le 13/03/2004 | Envoyé par kakkhara le Jeudi 16 Juin 2011 à 15:02 Et un petit up, un!
J'ai découvert des choses sympas dans mes dernières lectures : La vénitienne recueuil de nouvelles de Vladimir Nabokov. (ce n'est que le titre d'une des nouvelles composant le volume, qui sont réunies par l'éditeur et apparemment pas par l'auteur, si ce n'est pas leur date et lieu de parution. Les nouvelles de Nabokov sont belles. On sent la nostalgie d'une terre qui lui est interdite (elles sont écrites vers 1920 en Allemagne). Nabokov aime la Russie, on ne peut que le sentir le long des lignes de ces nouvelles, mais il est interdit de séjour à cause de la révolution et de la mise en place du communisme. Les personnages de Nabokov sont souvent des expatriés russes. Mais il clame sa révolte de manière tout à fait subtil, à l'instar de son personnage principal dans Le rasoir. Il y a dans l'écriture un parfum épique qui transcende le quotidien et en fait naitre à tout instant l'extraordinaire. Le vieil homme et l'officier de Mircea Eliade : Un vieil homme qui a été directeur d'une école primaire cherche à reprendre contact avec ses anciens élèves. Il tombe sur un major communiste qui nie tout en bloc et le recoit très mal. Mais un collègue de ce major cherche alors à en savoir plus, et le vieil homme est retenu au poste pour raconter ce qu'il sait sur le major et ses relations de l'époque. De cet auteur roumain, je connaissais surtout ses ouvrages sur la religion/myhtologie, très intéressants et très clairs. C'est le premier roman que je lis de lui, et il faut avouer que c'est conduit de main de maître. Dans le postulat de départ, on voit bien toute la paranoïa résultant d'un système totalitaire, monde inquiétant où le personnage du vieillard évolue très naïvement. Sur un deuxième plan, les histoires racontées par le vieillard prennent l'aspect de mythes et de légendes, lors même qu'elles semblent ancrées dans la réalité. Un parfum fantastique ressort de tout ça, ce qui donne une construction qui n'est pas sans rappeller celle des mille et une nuits. Et enfin sur un troisième plan, par la paranoïa dont font preuve tous les fonctionnaires rencontrés dans le récit, nait un polar qui semble inventé de toute pièce par l'imagination malade de fonctionnaires staliniens. Quoique? Bref ce roman joue sur plusieurs plans avec brio et se lit très vite qui plus est. Les dents de la mer de peter Benchley : A Amity, la population est pauvre et ne vit que de la période touristique de l'été, quand les touristes affluent sur les plages. Malheureusement pour Amity, il semblerait qu'un grand requin blanc ai pris cette année les plages pour son garde manger. Tout le monde connait le film de Spielberg. Le roman est vraiment sympa. Construit en trois parties distinctes, les trois parties semblent avoir leur spécialisation, la première critique sociale, la deuxième polar, et la troisième chasse au monstre. Le requin agit comme un révélateur, en arrivant dans cette bourgade il va mettre à jour les masques de tout un chacun. Ainsi les pressions des politiciens pour que la plage reste ouverte malgré le risque, "jouant à la roulette" avec les vies humaines pour sauver la saison, la pression exercée sur le chef de la police pour qu'il agisse selon les voeux des élus, met en place un polar noir. Alors que dans la dernière partie, on a le face à face requin/homme et on redonne toute son importance au poisson, qui est plus toile de fond qu'autre chose des deux premières parties, même s'il apparait et que des gens meurent ou en réchappent de justesse. Il est dommage que certains passages du livre ne soient pas approfondis et que Benchley passe vite outre son aspect polar et les remises en question de la vie de son personnage principal. En fait il y a là matière à au moins 2 romans, et on se prend à regretter que ce ne soit pas le cas. En tout cas, même si tout n'est pas développé au maximum des capacités que révèle petit à petit le scénario, Jaws reste un solide polar très agréable à lire. Scandale de Shûsaku Endo : Suguro a passé le cap de la soixantaine, et lors d'une cérémonie de remise de prix, il peut se permettre de se sentir satisfait de lui-même. Mais voilà qu'il apercoit à cette réception son double dans la salle, qui affiche un rictus méprisant. Une femme fait une esclandre, et Suguro apprend que son double se fait passer pour lui dans les quartiers mal famés de Tokyo, jusque dans des soirées privées SM. Un journaliste suit l'affaire avec intérêt. Un scénario qui pourrait être point de départ d'un livre de Ryu Murakami, mais Shûsaku Endo semble véritablement être un grand auteur (premier livre de cet auteur que je lis). Il semblerait que le christianisme ai marqué très fortement l'imagination des japonais convertis, et que de par ce fait ces mêmes auteurs lui laissent une place importante dans leur oeuvre. Mais lorsqu'une Ayako Miura écrit des récits qui passeraient en Europe pour naïfs, tant ils révèlent de croyance que le christianisme rend de facto les gens meilleurs, Le roman de Endo est plus dur, plus amer. Oui le christianisme a tendance à adoucir les moeurs, mais les gens, chrétiens ou non, ont deux facettes, dont une inavouable à la société. Chacun a sa part d'ombre, quelque soit l'aura de respectabilité qui l'entoure. Avant d'être chrétiens, les personnages d'Endo sont hommes, et s'ils prennent conscience de leur part d'ombre, alors ils ne peuvent nier que lors du supplice du Christ, ils eussent été dans la foule, non les derniers à le lapider.
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Hors Ligne Membre Inactif depuis le 09/07/2024 Grade : [Légende] Inscrit le 13/03/2004 | Envoyé par kakkhara le Jeudi 30 Juin 2011 à 20:29 Allez on y croit :
Demain les chiens, roman de Clifford D. Simack : un monde où les chiens règnent en maître, dans ce qui apparaît comme une civilisation utopique. Mais la nuit, au coin du feu, les chiens se transmettent d'anciennes et obscures légendes mettant en scène une mystérieuse race divine et mythique, les hommes. A travers 7 nouvelles dans lesquelles on suit la famille des Webster et l'émergence de la civilisation canine, Simack propose un roman d'anticipation intéressant quoique souvent assez naïf et peut-être trop répétitif. Ce n'est certes pas le meilleur de l'auteur, qui reste l'un des grands de la SF mais ça se lit vite et assez agréablement et le sujet est plutôt intéressant et pourrait presque passer pour innovant ^^. En tout cas la manière de l'aborder ne manque pas d'une certaine originalité (pas la même époque, rappellons le, et pour le passage des fourmis, désolé pour l'un de nos Dans la solitude des champs de coton, "pièce de théâtre" de Bernard Marie Koltès : dialogue entre un dealer et un potentiel acheteur qui se rencontrent la nuit dans un champ de coton. A travers ce discours alambiqué de longues tirades imbriquées, c'est toute une allégorie des rapports humains, vu sous le l'angle d'une séparation ambigüe entre offre et demande, et donc deux sortes de gens qui sont amenés à se croiser et ne jamais se comprendre. C'est toute une allégorie de la condition humaine que ce petit livret nous offre, cristallisée par le paroxysme final, qui est quand même fabuleux, toute la condition humaine réunit en une question de 2 mots. Le Golem, histoire courte de isaac Bashevis Singer : l'histoire du golem remaniée en petit conte pour enfants petits et grands. Texte émouvant et drôle de ce grand auteur, le golem est vraiment un petit miracle, qui fait tenir rire et émotion en quelques pages et à peine une demi heure de lecture. Isaac Bashevis Singer est un auteur à découvrir pour sa verve et son optimisme, et son évocation toujours étonnante des dimensions parallèles. Le palais des fêtes, pièce de théâtre de Yukio Mishima : au palais des fêtes, on prépare l'anniversaire de l'empereur. Mais une bande de factieux pourrait bien prendre la cérémonie pour cible. et évidemment une femme de l'aristocratie est amoureuse d'un jeune dissident, ou qui se présente tel. C'est la première pièce de théâtre que je lis de cet auteur, dont je connais plutôt bien les romans. Pièce de facture classique, sauf que le destin est remplacé par les méandres de la politique. On retrouve donc les thèmes chers à Mishima, la corruption de la noblesse de l'époque et le marasme politique dans lequel le Japon verse peu à peu (oui Mishima est un réactionnaire extrémiste ^^), et les beaux portraits de femmes fortes et dévouées. Le premier acte est un vrai miracle, rien que pour la manière qu'à Mishima de montrer l'hypocrisie totale de la société en deux scènes mettant en scène quasiment les mêmes personnages. Bref, comme tous les Mishimas (bon j'aime moins la mer de la fertilité mais je reconnais le caractère ambitieux et l'intérêt de l'oeuvre), c'est virtuose et le sujet est complètement transcendé par l'art de Mishima, comme quoi on peut être un parfait con et un grand artiste.
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Hors Ligne Membre Passif depuis le 03/07/2023 Grade : [Modo Forum] Inscrit le 22/08/2003 | Envoyé par jokerface le Jeudi 30 Juin 2011 à 21:02 Les dents de la mer deuxième partie existe en livre. Mais ce n'est pas du même auteur, ce sont deux personnes qui se sont inspirés du scenario de Benchley pour l'ecrire. Pour l'avoir lu je l'ai trouvé correct sans égaler le 1.
___________________ Le 23/02/2017 à 16:10, David avait écrit ... |
Hors Ligne Membre Inactif depuis le 03/12/2019 Grade : [Nomade] Inscrit le 28/06/2004 | Envoyé par corum le Mercredi 06 Juillet 2011 à 22:25 Pas vraiment littéraire, mais je pense qu'il a quand même sa place dans le topic
Eichmann in Jerusalem, Hannah Arendt Ce livre est de nature assez complexe, il se situe entre un travail d'essayiste, de journaliste, et de philosophe. Il a d'abord été publié chapitre par chapitre dans le New Yorker. Arendt était en effet l'envoyé spéciale du journal au procès d'Adolf Eichmann, ancien du régime nazi, arrêté/enlevé en Argentine par les services secrets israëliens pour être le premier haut responsable de la Shoah jugé après Nuremberg, et de plus sur le territoire israëlien. Il s'agit avant tout, Arendt insiste là-dessus, d'un compte rendu du procès, et donc d'un homme Adolf Eichmann, et de ses crimes. Il était responsable grosso modo, de rassembler les juifs dans les différents pays et de les acheminer vers les camps de concentration. Point donc d'interminable digressions sur l'horreur des camps, Arendt reproche d'ailleurs au procureur de s'en préoccuper, et d'exagérer fortement le rôle d'Eichmann. Elle adopte de nombreux point de vue, critique les juges (qu'elle a en haute estime, le procès (sur le plan juridique, la légalité de l'enlèvement, l'attitude du procureur, elle accuse Ben Gourion de vouloir un procès spectacle etc), le verdict. Elle détaille ce qui est repoché à Eichmann, et pèse d'elle même les fautes, et essaie de le comprendre. Elle juge Eichmann, pas comme elle le ferait si elle était un juge, mais en tant qu'être humain. Pas de pseudo impartialité donc, mais des prises de position fortes, qui ont valu aux livres des polémiques parfois bien éloignées du sujet lui-même. On apprend des choses. Qui sait les horreurs subi par les juifs roumains ? Le massacre du ghetto d'Amsterdam ? Comment les danois ont sauvé la plupart de leur juif, ce qui est peut être le plus bel exemple de résistance non violente ? Comment les italiens ont sauvé une bonne partie des leurs (un rare moment de sourire dans un livre souvent sombre... mais Arendt a le sens de l'humour et de la formule semble-t-il) ? On discute de la nature d'un homme Eichmann, et de la nature humaine, de la nature du mal en général ? Comment en est-il arrivé à faire ces horreurs ? Comment le juger ? Etait-il un monstre ? Un antisémite ? Dans quelle mesure ? Ce sont des questions difficiles, et Arendt tente des réponses, car elle croit que c'est justement par qu'Eichmann a suspendu sa faculté de jugement qu'il en est arrivé là. Juger, c'est aussi important que de se souvenir. Elle cherche la vérité nue, même si elle la sait peu sûre. Elle accepte le risque de l'erreur. Je lis rarement des essais, et peu de livre se déroulant pendant cette période (à part le très beau Si c'est un homme de Primo Levy, mais bon, c'est assez différent). Je l'ai lu pour mon cours d'anglais, il m'a fallu 3 semaines pour traverser ces horreurs, mais je n'ai aucun regret. Je finirai sur une anecdote hallucinante qu'Arendt emprunte aux mémoires d'un médecin allemand, pour illustrer l'athmosphère du IIIe Reich. A la fin de la guerre, alors que les chars russes marche sur la ville la plus proche, il est appelé dans un hôpital pour soigner les blessés. Sur son chemin, il croise une femme légèrement blessée qui lui demande de l'aide. Il lui répond que les russes sont proches, et qu'elle ferait mieux de fuir, elle risque peu de sa blessure. Sa réponse est à peu près, de mémoire "Le Fürher ne permettra pas que les russes nous fasse du mal. Quand bien même on perdrait la guerre, il aura prévu du gaz, pour qu'on puisse mourir sans douleur".
___________________ "car le style pour l'écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique mais de vision" Marcel Proust
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Hors Ligne Membre Inactif depuis le 29/03/2023 Grade : [Nomade] Inscrit le 10/12/2005 | Envoyé par gedat le Mardi 26 Juillet 2011 à 19:14 J'ai commencé par Le rivage des Syrtes. A l'époque j'étais en plein existentialisme, l'absurdité tout ça, j'avais fini de lire toute l'oeuvre de Kafka, j'avais encore faim, j'attaqua Le désert des tartares de Buzatti, le dévorai, et j'avais toujours la dalle (à l'époque j'étais complètement boulémique de livres), je voulais encore et encore des histoires d'attente et d'absurde, et j'entendis parler du Rivage des Syrtes. Une aura planait sur Gracq, réputé difficile d'accès, style d'orfèvre, voire précieux disait les grincheux. Ce qui m'a convaincu, fut de savoir que pour ce livre, Gracq refusa (fait rarissime) le prix Goncourt qui lui fut discerné. Là, je me suis dis : ouais, c'est un pur, le gars, un incorruptible, il s'en branle des honneurs germanopratins ! C'est cool.Ah mince j'avais zappé cette partie de ton premier message et du coup j'ai attaqué cash dans le Rivage des Syrtes. Alors oui c'est dur à lire. On sent que Gracq a une certaine idée de la littérature, que pour lui la richesse et la densité d'un livre est primordiale, et qu'elles se trouvent dans les innombrables passages descriptifs qui parent l'ouvrage. On se prend parfois à lire ces passages sans même plus comprendre ce qui se dit, empêtré dans leurs grandes phrases proustiennes. Mais cette confusion ne fait qu'accentuer l'impression de fièvre qui se dégage du Rivage des Syrtes: on se sent en pleine hallucination, les paysages de vieilles pierres et de grèves désertes ayant un rôle extrémement expressioniste: à travers eux ce sont les états d'âmes du héros qui nous hantent. Et qu'est-ce que Gracq est brillant à construire cette ambiance fiévreuse! Ce qui m'a d'abord accroché dans le Rivage des Syrtes, ce sont ses noms de lieux imaginaires, Orsenna, Vezzano, les ruines de Sagra, la mer des Syrtes, etc, noms de lieux qui enflamment l'imagination et qui font penser à de la fantasy. La présence du Farghestan au delà de la mer me rappelait constamment les pirates de l'Assassin Royal de Robin Hobb. Ensuite, on est percuté par la révélation de la portée dingue de ce livre: ce n'est pas juste un récit d'attente, d'absurde, d'ennui, mais quelque chose de bien plus profond qui touche au triomphe des passions sur la Raison. Gracq décrit une civilisation décadente, sur le modèle d'une cité grecque ou italienne qui dans son confort de ville marchande s'étouffe et n'aspire plus désormais qu'à une chose: sa propre destruction. Et c'est la matérialisation de cette ambiance de fièvre qui consomme le pays qui est le coup de génie de l'écrivain, inouï, absolument incroyable. Tout est dans le non-dit, les fines allusions, les sous-entendus, la subtilité du langage diplomatique, et on voit émerger avec lenteur l'inéluctable destin vers lequel tous se précipitent, attirés comme des papillons de nuit vers la chandelle qui va les brûler. C'est un livre sur la faiblesse de la raison lorsque les hommes sont emportés comme des fétus de paille par les sourdes obsessions dont ils sont prisonniers. Je l'accorde: Gracq aurait pu nous épargner quelques longues descriptions. J'ai mis longtemps à le finir, mais tout de même, quelle claque! quelle démesure!
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Hors Ligne Membre Inactif depuis le 09/07/2024 Grade : [Légende] Inscrit le 13/03/2004 | Envoyé par kakkhara le Mardi 26 Juillet 2011 à 23:09 Bon j'ai pas eu le temps de lire et de regarder des films ces temps-ci, mais quelques découvertes néanmoins :
Fictions, recueuil de nouvelles de Borges : Des nouvelles conceptuelles, dont beaucoup sont des exégèses de textes inexistants, ce qui s'avère parfois très drôle. Les messages à faire passer sont assez drôle, du genre "Tout exercice intellectuel est vain" au terme d'un développement comique sur un Don Quichotte postérieur à Cervantes reprenant mot à mot le texte original, mais tellement plus chargé de sens. Bref des nouvelles très originales mais parfois difficiles à lire. L'adieu aux armes de Ernest Hemingway : Frederic Henry est un volontaire américain affecté pendant la première guerre mondiale aux ambulances sur le front italien. Il y rencontre Catherine, une infirmière dont il tombe amoureux. Très beau texte, roman de guerre et d'amour, pour un grand classique, et à juste titre, de la littérature. Ecrit dans le style réaliste et nihiliste propre à Hemingway, le récit est prenant d'un bout à l'autre, même si on se doute que le bonheur ne peut pas durer ^^. La mécanique des ombres de Benjamin Legrand : l'histoire d'un collier maudit qui traverse les ages et sème le malheur partout où il passe, de propriétaire en propriétaire. L'histoire aurait pu être originale, si l'auteur n'avait pas semblé prendre tous les lieux communs à sa disposition pour les mettre bout à bout. Les liens entre les personnages sont artificiels à outrance, personnages qui d'ailleurs sont complètement unilatéraux et inintéressants au possible. L'enchainement des situations n'a vraiment rien de palpitant, et un souffle d'ennui traverse le récit d'un bout à l'autre. Dommage, ça avait l'air intéressant. En fait, c'est un livre à éviter, digne roman de gare fort peu stimulant. Le double de Dostoievski : Goliadkine est un fonctionnaire plutôt satisfait. Il a une petite fortune, l'espérance d'un mariage heureux, bref une petite vie sans histoire, vie qui va basculer quand il va rencontrer son double, n autre Goliadkine dont la principale occupation semble être de ternir la réputation de son modèle. Histoire de la folie d'un homme, , Le double avance par le cheminement intérieur incohérent du triste "héros" de ce récit qui devient ainsi de plus en plus halluciné au fur et à mesure que la paranoïa augmente chez Goliadkine. D'un bout à l'autre du récit, il y a une ironie mordante qui accompagne les faits et gestes de Goliadkine, ce qui donne une distance par rapport au récit et permet de bien rigoler, lors même que le récit s'enfonce dans la tragédie, car c'est la perte d'un homme qui sombre peu à peu dans la folie qui nous est racontée ici.
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Hors Ligne Membre Inactif depuis le 29/03/2023 Grade : [Nomade] Inscrit le 10/12/2005 | Envoyé par gedat le Mercredi 07 Septembre 2011 à 22:58
Et encore, on ne connait rien si on a pas cité le contexte immédiat de cet extrait grandiose. Pris isolément, ce texte est magnifique, mais remis dans son environnement, c'est un des grands moments de gloire de la Littérature. Là dans le livre le héros vient juste de graver sur une croix dans un cimetière le nom de sa future invitée, pris par une intuition inexplicable. Et ce nuage qui passe, c'est le destin qui se met en branle, c'est l'annonce majestueuse des évènements qui vont suivre. C'est un de ces moments où on est en jubilation totale devant son bouquin, qu'on se dit "oh mon dieu les choses sérieuses commencent."
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Hors Ligne Membre Inactif depuis le 09/07/2024 Grade : [Légende] Inscrit le 13/03/2004 | Envoyé par kakkhara le Jeudi 08 Septembre 2011 à 22:45 Tiens un petit passage, c'est pas que j'ai eu le temps de lire pendant ces vacances, mais on s'y remet tranquillement ^^.
De sang-froid de Truman Capote : C'est en fait un docu fiction sur un meurtre qui apparemment a fait sensation à l'époque. On suit le parcours des tueurs et des victimes, et le déroulement de l'enquête, à travers les témoignages des témoins de l'affaire. Même si on n'a pas le suspens des romans policiers, puisqu'on sait ce qui va se passer (même en ne connaissant pas l'affaire, c'est présenté de manière tellement évidente), on a ici un récit très prenant et certainement dérangeant, car Truman Capote nous place bien souvent du point de vue des tueurs, et il est évident qu'il a de la sympathie pour l'un d'eux (il confiera d'ailleurs que s'il n'avait pas choisi la carrière d'écrivain, il aurait été comme ce tueur, de quoi devenir fou, ce qu'il est finalement devenu par ailleurs ^^). Frankenstein de Mary Shelley : Roman intéressant car point de départ d'un mythe ultra célèbre, énorme succès d'époque. On ne peut cependant pas ne pas remarquer des raccourcis qui laissent vraiment à désirer. Ce n'est pas mal écrit, mais malgré tout très inégal. Intéressant néanmoins car Frankenstein est un roman charnière, qui a gardé toutes les caractéristiques du gothique en apportant un renouveau du à la part belle donnée aux sciences. Frankenstein s'avère être un des prémices de ce qui va devenir, sous la houlette de Jules Verne et surtout d'Herbert George Wells un genre littéraire à part entière, la science-fiction. Les mystères du chateau d'Udolphe d'Ann Radcliffe : Emilie de Saint-Aubert est une jeune fille merveilleuse, il va de soi, c'est l'un des sétérotypes du roman gothique après tout. Et comme toute fille merveilleuse, elle a rencontré un être d'exceptions, mais comme tout roman gothique, tout conspire à les séparer. Là il ne faudra rien de moins qu'un sinistre brigand italien retranché dans une forteresse (d'architecture gothique, non sans blague ^^) pour les séparer. Roman gothique par excellence, les mystères du chateau d'Udolphe, plus précisément l'oeuvre d'Ann Radcliffe, prépare le terrain à Edgar Allan Poe. En effet on quitte déjà le gothique classique (oui ce courant n'a pas duré longtemps ^^) pour poser les bases du fantastique noir, enfant terrible du romantisme si on peut dire. Qu'on se le dise, si vous le lisez pour avoir peur, vous allez être excessivement décu. En revanche comme divertissement ça se lit bien malgré des longueurs (facile de dire ça pour nous, lecteurs avertis du XXIème siècle). Et pour donner une idée de ce que fut le gothique, c'est intéressant. Carmilla de Joseph Sheridan Le Fanu : Un veuf et sa fille recoivent la garde d'une étrange fillette, prénommée Carmilla. Très vite, des évènements étranges se déroulent dans la région. A lire ce court roman aujourd'hui, il est évident que les indices disséminés dans le récit avec la délicatesse d'un rhinocéros au galop nous font sourire. Néanmoins on doit se rappeller que Dracula n'existe pas, Stocker ayant d'ailleurs pris son inspiration ici pour l'écrire. Ces symptomes sont donc inconnus des lecteurs, mis à part à travers une petite nouvelle, Le vampire de John Polidori, sur une idée de Byron (il s'agit du récit de monstre qui faisait partie du même concours d'histoires que Frankenstein. Bref le mythe du vampire est alors très original. Parallèlement à cette nouveauté, le style de Carmilla est très archaïsant, utilisant d'ailleurs les ficelles du genre gothique, pourtant déjà mort à cette période, ou peu s'en faut. Une seule entorse au style gothique, qui constitue d'ailleurs la principale originalité : le décor est riant et somptueux, à l'encontre des standards du genre. Du coup ça crée un décalage avec le ton archaïsant, ce qui est à mon sens la principale originalité du récit. Le pont flottant des songes de Junichiro Tanizaki : Tadasu essaye de se rappeler des détails sur sa mère et sa belle mère. En effet sa mère a disparu alors qu'il n'était qu'un enfant, et son père a repris une femme qui lui ressemblait tellement qu'il n'arrive plus à faire la part l'une de l'autre. Petit texte sur la maternité, il est par certains côtés dérangeant. En effet les relation entre Tadasu et sa seconde mère sont par moments assez ambigues, ce qui n'échappe d'ailleurs pas à leur entourage. C'est un beau texte, même si le début, un peu ardu car plein de références qui nous manquent est un peu rébarbatif du coup. En revanche une fois passé les premières pages, on rentre sans souci dans ce petit récit doux amer, qui de toute façon se lit extrêmement vite. La guerre des jours lointains d'Akira Yoshimura : Pendant la seconde guerre mondiale Takuya Kiohara est posté au quartier général, où il doit s'occuper de la prévention des attaques aériennes et à la coordination de la défense aérienne. Plein de colère envers les bombarements incessants, il prend part à l'exécution de prisonniers américains. Lorsque la défaite est consommée il apparait alors sur la liste des criminels de guerre. Roman sombre, la guerre des jours lointains est l'histoire d'une rédemption. car même si l'appellation de criminel de guerre ou de héros dépend du camp dans lequel on se trouve, et même si on comprend la colère d'un japonais à l'annonce de ce qui est arrivé à Hiroshima, il n'existe en conscience pas deux poids deux mesures dans les crimes de guerre. C'est donc un roman sans concessions signé par Akira Yoshimura, une fuite haletante à travers son propre pays transformé en champ de ruines, doublé d'une remise en question incessante. Excellent roman, qui m'a énormément surpris dans le bon sens du terme, La guerre des jours lointains est un livre d'une grande profondeur se lisant malgré tout comme un thriller. Moi et ma cheminée, recueuil de nouvelles d'Herman Melville : Je suis assez dubitatif sur celui-là : les nouvelles sont étranges, par certains aspects elles sonnent un peu comme les écrits dHenri Michaux (bon quand même pas mais il y a des similitudes.) En tout cas ça se lit vite et sans déplaisir c'est le principal et il y a des passages vraiment drôles. Au début on se sent un peu dérouté par la forme étrange, mais quand on rentre dedans on passe un bon moment. Je n'ai pas grand chose à en dire à part ça, sinon que je reste malgré tout un peu sur ma faim.
___________________ "_Je joue attirance mortelle sur mon pisteur invisible et je t'attaque avec. |
Hors Ligne Membre Inactif depuis le 29/03/2023 Grade : [Nomade] Inscrit le 10/12/2005 | Envoyé par gedat le Mercredi 09 Novembre 2011 à 17:19 Les Dépossédés - Donovan Wylie & Robert McLiam Wilson
C'est triste à dire, mais nous les avons trouvés facilement. En 1991, Margaret Thatcher vient de quitter le gouvernement britannique après 11 ans au pouvoir. Donovan Wylie, photographe de tout juste 19 ans, et McLiam Wilson, romancier à peine plus âgé, tous deux originaires de Belfast, s'embarquent dans un enquête de terrain à travers le Royaume-Uni pour faire un état des lieux sur les grands perdants du système, les laissés-pour-compte du Thatcherisme. Les Dépossédés, c'est un livre sur un sujet, la pauvreté, qui a été maintes et maintes fois abordés, mais qui frappe parce qu'il concerne une époque récente et un des pays les plus riches du monde. A une approche objective et scientifique du phénomène, Wilson préfère une plongée viscérale dans l'univers des dépossédés, dans les quartiers les plus déshérités, de Londres, Glasgow, et Belfast, et nous fait rencontrer les habitants de ces zones délabrées, leur lutte pour la survie, leurs espoirs insensées, leurs craintes. Ce n'est pas vraiment gai. Wilson, en plus de décrire avec minutie les conditions de vie des populations pauvres, s'insurge contre la situation, se demande à plusieurs reprises comment on peut accepter ça, dénonce les manipulations statistiques destinées à maquiller le problème, les sophismes de ceux qui pensent qu'on est pauvre parce qu'on est juste paresseux, les trous noirs dans les aides sociales, les conséquences désastreuses des politiques conservatrices (comme la réduction des capacités de prises en charge des hopitaux psychiatriques, à l'occasion de la rencontre d'une sans-abri schizophrène dans un centre d'accueil qui confie vouloir tuer des gens qu'elle connait à peine). Il y a une ambiance presque post-apocalyptique dans le cheminement de ces deux jeunes irlandais dans les décombres du système social britannique. Le livre a aussi un important aspect autobiographique. Wilson est né et a grandi dans un quartier populaire de Belfast, et il est à la poursuite de ses démons, impliqué si profondément dans sa tâche qu'il est au bord de l'effondrement, ce qui l'amène à annuler son voyage à Glasgow et laisser Donovan Wylie raconter cette portion du livre à sa place. Les Dépossédés n'est pas un traité sociologique sur la pauvreté, c'est une plainte émise par un écrivain qui finit par admettre que son livre est "un échec, ou du moins un livre sur l'échec". Accessoirement, même si c'est un ouvrage très sombre, c'est irradiant d'intelligence et je l'ai dévoré en trois jours. Le Désert des Tartares - Dino Buzzati (1940)
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Hors Ligne Membre Inactif depuis le 15/08/2024 Grade : [Nomade] Inscrit le 23/04/2004 | Envoyé par Borislehachoir le Jeudi 10 Novembre 2011 à 12:24 Je peux comprendre les pulsions meurtrières de Bateman, son aliénation, son obsession autour de la mode et des avis clinaires de Donald Trump, pourquoi il confond ses collègues.... MAIS JE PEUX PAS COMPRENDRE UN MEC QUI ECOUTE DU PHIL COLLINS EN BOUCLE ( a fortiori quand il t'expose ça durant des encarts de quinze pages ). Sinon je suis convaincu qu'il ne tue pas et qu'il hallucine complètement tellement il est cocainé jusqu'aux oreilles, ce con. Il y a plusieurs éléments, notamment l'attitude totalement incohérente de Christie, qui pointent dans ce sens.
Sinon j'ai décidé depuis quelques mois de rattraper des lacunes dans le polar. Sang maudit de Dashiell Hammett. Dans les héros du roman noir, on a retenu Marlowe et Spade mais on a injustement oublié le premier privé hard-boiled qui flingue à tout va, le Continental Op' qui apparait dans l'emblématique La moisson rouge de Dashiel Hammett et qui inaugure déja l'idée que le lecteur ne connait pas les pensées du narrateur ou ses analyses, et comprend donc toujours ce qui passe avec un cran de retard. On retrouve totalement cette idée ici avec un Continental Op' dont on ne saura jamais si il est tombé amoureux ou pas ; sinon, on retrouve une famille maudite, un écrivain déjanté, plein de meurtres, des gens qui posent des bombes, des fantômes, une gamine qui est convaincu que c'est elle qui commet tout les meurtres et des magouilles financières. C'est du pur roman pulp à la fois découpé en trois grandes parties autonomes et pourtant absolument cohérent ( la troisième oblige à revoir notre percéption des deux premières ), et c'est super bien écrit, c'est peut-être le meilleur roman du meilleur écrivain de romans noirs du fait de la plus-value sentimentale, et le méchant déchire. The long goodbye de Raymond Chandler. On retrouve justement un Marlowe vieillissant qui sympathise avec un charismatique blessé de guerre, qui disparait peu de temps après le meurtre de sa riche femme. Evidemment tous les emmerdements possibles retombent sur Marlowe. Il y a un ton assez étrangement nonchalant pour un polar hard-boiled, ce qui sera encore exacerbé dans l'adaptation cinématographique, Le Privé de Robert Altman, à la fois complètement infidèle et encore meilleur que le livre. Pour en revenir à celui-ci, Marlowe est en retrait, voir passif, et voir défiler une gallerie de personnages typiques du genre ( salopes, maris débiles, médecin véreux, brute épaisse, écrivain alcoolique ) et tout le monde se massacre pour pas grand chose. La fin est bien, puis quand on voit le film, on se dit qu'en fait la fin du film est mieux. Mais Chandler, c'est quand même la classe. Métropolice et La mort était au rendez-vous de Didier Daeninckx. Deux livres aux thèmes différents mais complémentaires : le premier est un polar sur un assassin qui pousse des gens sous le métro ( les premiers chapitres sur un terroriste arabe qui trimballe une bombe avant de tomber sur le tueur sont extraordinaires ), le second, divisé en plusieurs strates temporelles, raconte comment le combat d'un résistant contre les nazis abouti par ricochets au suicide de son fils des années plus tard. Ce qui est remarquable chez cet auteur pourtant humainement limite puant, c'est l'intelligence de récit sur les genres confrontés : le récit de guerre est encore plus déshéroisé que dans l'Armée des ombres, et le polar ne va vers aucune action d'éclat ; il y a des gens qui courent et puis des morts, et tout redevient comme avant. C'est très étrange de voir arriver la fin qu'on est censé attendre, et d'en venir à se dire que derrière les apparences de justice, on a juste vu un pauvre type se faire tuer. Ce côté déceptif fait sortir ces livres du cadre de polar de gauche consensuel et leur donne un contenue émotionnel extrêmement fort. Des très, très bonnes surprises. Pour venger pépère d'A.D.G. Néo-polar français, là encore, mais fondamentalement atypique puisque d'extrème-droite dans un milieu traditionellement d'extrème gauche ; A.D.G. écrivait à Minute et on sent dans cette histoire d'avocat qui recherche l'assassin de son grand-père adoré une haine de toute cette racaille communiste dégénérée. Evidemment, idéologiquement ça craint. Mais voilà c'est superbement écrit, avec un style " branleur de droite " que j'adore ( des francisations de noms anglais genre " tisheurte " ou " niouzes ", plein de jeux de mots à la con, et un individualisme revendiqué ) et y a un des personnages de gamine paumée les plus cools que je connaisse, ainsi qu'un russe proto-lepéniste très curieusement sympathique. Après tout, on ne fait pas de la bonne littérature avec des bons sentiments, pas vrai ? Tueurs de flics, La théorie du 1 %, Le souffle court et Sniper ( pas encore terminé le dernier au moment ou j'écris ) de Fréderic H Fajardie. Les trois premiers, très proches dans leur déroulement, racontent comment le commissaire Padovani enquête sur une série de meurtres - systématiquement bien dégueulasses, dans Le souffle court on frôle l'insoutenable - en cherchant à comprendre ce qui motive le tueur. Padovani est un personnage d'un charisme et d'un humanisme extraordinaire et on pardonne facilement à Fajardie une résurrection rocambolesque ( il est censé mourir à la fin du premier ) tellement sa compréhension, son refus de céder aux habituels " cette racaille mérite de crever " et sa compassion viennent agréablement contraster avec l'extrême noirceur des histoires. Ainsi, le fait d'avoir un héros autiste et froid plombe Sniper qui semble beaucoup plus désincarné et plus complaisant. Pour des raisons différentes, Le souffle court est plus faible que les deux premiers Padovani du fait que les tueurs soient juste des tarés sanguinaires et pas des gens blessés comme dans les deux premiers, d'ou une confrontation moins chargée émotionellement ; Fajardie se rattrape toutefois lors d'un extraordinaire final ou Padovani affronte le meilleur de ses hommes, qui vient de lui sauver la vie, car celui-ci veut exécuter sommairement le méchant. Il faut noter que comme Bleu de méthylène du même auteur, les Padovani sont construits d'une manière spécifique : d'un côté les meurtres, de l'autre Padovani qui sympathise avec certains personnages ( Ben Ghosi le juif et un ancien de la guerre d'Espagne dans le premier, Mamadou l'arabe et Hautes-Etudes le flic sortant de l'école dans le second, Mro le serbe dans le troisième ) qui aboutit quasi-systématiquement à la perte de la figure paternelle ( l'ancien de la guerre d'espagne ), filiale ( Hautes-Etudes, le jeune flic dans Le souffle court ) ou fraternelle ( Ben Ghosi, Mamadou et Miro ), qu'elle se fasse tuer ou que la situation à la fin du livre provoque une cassure avec Padovani, invariablement seul face à la foule quand le roman se termine. Mon préferé est La théorie du 1 %, mais je me garde pour la fin le Fajardie le plus réputé : La nuit des chats bottés. Boris.
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Hors Ligne Membre Inactif depuis le 21/08/2015 Grade : [Nomade] Inscrit le 09/02/2006 | Envoyé par Skarr le Jeudi 10 Novembre 2011 à 18:43 Le « This is not an exit » d'American Psycho me revient inlassablement en tête. Pas plus tard qu'il y a une demie-heure, c'est ce que je notais sur ma gomme pendant un exposé chiant en cours. C'est un peu comme le « Aujourd'hui maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas » de l'Étranger. Si les deux te plaisent, et que c'est ton kiff de rentrer dans des psychologies totalement décalées de la réalité, je te conseille Plume (mais tu connais peut-être déjà) de Michaux, et son hallucinant « Homme tranquille ».
Sinon une question, Le Rivage des Syrtes, tu l'as découvert/étudié en cours ? [edit] Merde non je confonds, c'est Kakkharra le khâgneux...
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Hors Ligne Membre Passif depuis le 03/07/2023 Grade : [Modo Forum] Inscrit le 22/08/2003 | Envoyé par jokerface le Jeudi 10 Novembre 2011 à 18:46 Juste une petite parenthèse puisque tu parles de Michaux :
Notre prof d'iufm nous a formellement interdit de choisir un texte de michaux si il tombe à l'oral du CAPES pour l'explication de texte J'en ai jamais lu, cest si hard que ça ?
___________________ Le 23/02/2017 à 16:10, David avait écrit ... |