Attente à Corellia
Les jours avaient passé depuis le départ des exilés corelliens, et l'ennui, l'attente, et la préparation à une bataille meurtrière étaient les seuls occupations des valeureux restés à Corellia. La ville était déserte, laissée aux rats et aux dernières reliques de bétails livrés à eux-mêmes. Les champs et les domaines agraires aux alentours, peu propices à un combat, avaient été laissés à l'abandon, et pourrissaient lentement, mais aussi sûrement que le moral des troupes autoproclamées qui avaient installé leur camp de base sur les ruines de la Guerre de l'Ombre, dans ce qui était autrefois des plaines, une plage, et qui n'était plus qu'une terre dévastée. Alors qu'à ses côtés, deux de ses hommes pataugeaient dans une mare croupie plus qu'ils ne s'entraînaient au combat, Fezall soupira, les yeux posés sur un malade soltari qu'on arriverait certainement pas à guérir. Le mal était trop virulent, en plus d'être inconnu. Comme si les relations toujours tendues entre les deux peuples ennemis ne suffisait pas, l'armée du Vrai Monde avait l'air de s'en prendre à eux. Jamais ils n'auraient du tenter de traverser la brèche pour demander de l'aide de ce côté-çi. Ces peuples qui ne connaissaient ni la magie, ni même l'énergie qui les traversait, n'étaient pas prêt à accepter l'existence d'un autre monde. Ils avaient laché des maux terrifiants, des créatures invisibles qui s'insinuaient dans les corps et les détruisaient de l'intérieur, petit à petit. La maigre armée de Dominaria ne tentaient plus de s'allier à présent. Par chance l'armée du Vrai Monde n'osait pas s'approcher hors de la brèche, encore échaudée par sa première sortie. Mais il n'empêche qu'avant même le combat, on dénombrait déjà des victimes. Fezall ne pouvait quitter des yeux le pauvre malheureux qui souffrait derrière le champ d'énergie mis en place pour enrayer la propagation. L'espoir se rarefiait petit à petit, comme l'oxygène des hauts pics lors d'une ascension. Irrémédiablement.
"Nous avons appris à nous battre contre des hommes, parfois contre nous même, contre des démons, et même contre des dieux. Mais pas contre ça..."
Fezall tourna la tête. Depuis deux jours entiers, Shaghnar n'avait pas quitté le chevet des malades. Altruiste dans l'âme, il s'inquiétait autant pour son peuple que pour les victimes dauthies, alors que la plupart avait des camps et des occupations bien séparées.
"Si c'est le genre d'adversaires auxquels nous devon nous attendre, reprit-il, nous n'avons aucune chance. Et notre nombre réduit ne fait qu'aggraver les choses.
_ Les shälämäks n'ont pas de rapport avec le Vrai Monde, avança Fezall, ils veulent justement l'envahir. Nos adversaires ne seront que des hommes, des bêtes, et certaines autres choses terrifiantes, mais rien d'invincibles. Peut-être périrons-nous tous dans ce combat, mais nous avons choisi d'accomplir cette mission, et nous protègerons cette brèche coûte que coûte le plus longtemps possible, assez de temps pour qu'une puissance superieure nous vienne en aide.
_ Puissent les divinités des Temps Anciens t'entendre Fezall..."
Un cri soudain retentit. Pas un cri d'effroi ou de douleur, seulement un cri d'appel, où l'on pouvait entendre une pointe de panique. La vigie. La vigie avait vu quelque chose.
"Ils arrivent ! Ils arrivent par les airs ! Des dizaines, des centaines !"
Toutes les occupations cessèrent. Deux dés roulèrent sans qu'aucun joueur ne leur prête la moindre attention, les combattants qui s'entrainaient laissèrent tomber leurs armes dans la vase, les assoupis se réveillèrent... Fezall et Shaghnar se précipitèrent à la rencontre de la vigie qui descendait une colline à l'herbe brûlée et à la terre noircie. Par les airs ? Les shälämäks arrivent par les airs ? Plus ils gravissaient le monticule, et plus le ciel semblait s'assombrir, bien qu'aucun nuage ne soit visible dans le ciel clair. Enfin ils atteignirent le sommet de la butte, et le spectacle qui s'offrit à leur vue avait tout pour les terrifier. Des centaines de paires d'ailes à perte de vue battaient en cadence, et cachaient l'horizon. Ce ne fut que lorsqu'elle passèrent devant le soleil que Fezall put enfin les distinguer.
"Ce ne sont pas nos ennemis, souria-t-il, ce sont des renforts !"
Et il commenca à battre des bras pour signifier leur présence. Des anges. Une armée entière d'anges luminescents venaient à leur rencontre, leurs auras pleines d'espoir et de courage. Ils se posèrent face à la butte entre quelques bosquets ravagés, leurs armes scintillant au soleil.
Serra s'avança, reconnaissant dans l'attitude de Fezall, Shaghnar, et Fielok qui avait quitté les cuisines, les dirigeants de cette armée hétéroclite.
"Vous êtes une bénédiction, commença Fezall
_ Je n'aurais pas cru avoir un jour à le dire, enchaîna Fielok, mais vous êtes ce que nous n'attendions plus, et ce que nous pouvions espérer de mieux.
_ Vous êtes courageux, sourit Serra, humains, et non-humains, mais nous ne pouvions vous laisser seuls la responsabilité de la sécurité de Dominaria. Je n'ai été ressucitée que pour venir en aide à tous les défenseurs de ce monde.
_ Maitres anges, déclara avec respect Shaghnar, nous sommes vos serviteurs.
_ Ne vous dénigrez pas chevalier, vous êtes nobles, nous pouvons vous considérer comme nos égaux en ce jour. D'autres viendront vous prêter main forte, nous sommes une vraie armée à présent.
_ Il n'est pas question pour nous d'être vos égaux, assura Fezall, vous êtes des puissances supérieures bienfaisantes, et en notre âme et coeur, nous vous devons respect, et allégeance."
Fezall s'agenouilla respectueusement, et les uns après les autres, tous les humains, soltaris et dauthis qui se trouvaient là firent de même, tous noyés dans une masse blanche, noire, rose, enfin homogène. Ydolem, l'ange scruteur, s'approcha de Serra.
"Relevez-vous, amis, dit-elle. Votre respect me touche profondément. Votre respect apaise tant mes douleurs... Laissez-moi être vos yeux par delà l'Aether. Cela témoignera de ma reconnaissance personnelle. Ils ne feront un pas, n'auront une pensée sans que nous le sachions avant eux."
Fezall se releva, et se sentit soudain minuscule face à cette entité qui semblait avoir accumulé autant de sagesse que de souffrance.
"Il faut nous hâter maintenant, reprit-elle avec une pointe d'appréhension. Je les vois. Les diables rouges sont aux portes de l'horizon."
Les anges déferlèrent en douceur dans le camp de Corellia, et installèrent leurs quartiers. Enfin cette armée avait une âme. Enfin elle cessait d'être divisée. Enfin l'espoir affluait.
Serra, accompagnée d'Enaira, marcha pensivement sur la plage jusqu'au bord de la mer, et se retourna pour contempler ce qui serait bientôt leur champ de bataille. De la roche brûlée, de l'herbe roussie, du sable noirci, des cadavres sylvestres, et encore quelques victimes de la Guerre de l'Ombre qui finissaient de se décomposer, à moitié enfoui sous le sol.
"On ne se bat pas dans un marécage, opta Serra, on y meurt. Si un fléau est réellement en marche, préparons-y notre terre."
Ayant dit cela, elle placa ses paumes loin devant elle et ferma les yeux. Une onde invisible commença à balancer doucement ses cheveux vers le ciel, fit frémir les plumes de ses ailes, puis les pans de ses vêtements. Bientôt c'est un souffle raffraichissant qui apparut de nulle part. Enfin une lumière magnifique mais aveuglante jaillit de ses mains, alors qu'une bourrasque semblait s'être formée autour d'elle. Chacun ferma les yeux, baissa la tête, pour se protéger de cette puissante lumière.
Quand la lumière s'éteignit et que tous rouvrirent les yeux, le paysage avait changé... L'herbe avait repoussé, les arbres avaient refleuris, les sable était ocre et la mer enfin bleue. L'endroit était redevenu ce qu'il était avant la guerre. Là ils seraient à leur avantage. Une vibration de souffrance malmena son âme. Elle et Enaira se dirigèrent vers la tente des malades. Ydolem, derrière son foulard, contemplait de ses yeux vides un jeune homme tousser caillot de sang après caillot de sang. Lorsque Serra fut à sa portée, elle s'adressa à elle.
"Pour eux pas de guérison, dit-elle tristement, trop de souffrance, trop de Mal. Ils n'espèrent plus survivre. Ils... Ils veulent combattre. De tout leur coeur. De ce qui leur reste d'âme.
_ En auront-ils la force ? demanda Enaira sans trop d'espoir.
_ Pas sans notre aide... Ils leur faut notre aide, pour pouvoir se lever, et aller se battre, pour pouvoir mourir en soldat, en héros."
Il n'y avait pour cela qu'une solution : les parsemer de l'essence même d'un ange, de quoi leur redonner vigueur et espoir, au moins le temps d'une bataille homérique. Mais extraire l'essence d'un ange revenait à le sacrifier. Il fallait qu'un ange meurt pour qu'une quinzaine de soldats vivent encore assez longtemps pour prouver leur valeur. Il ne se passa pas le temps d'un silence pour qu'un ange au visage d'homme, robuste et qui dégageait une grande douceur, ne viennent se dévouer.
"Tel est également mon rôle, dit-il simplement, sacrifier ma simple existence pour pour en sauver tant d'autres. Je ne crains pas cette mort, ni aucune autre. Un ange ne meurt pas, un ange change de peau. Je renaîtrait quelque part dans un Univers, et je me souviendrais de ce jour."
Sans dire un mot, Serra accepta son choix. Elle sourit, et pris la main d'Ydolem et Enaira pour encercler l'ange. Elles fermèrent les yeux. Une brise légère qui forcissait seconde après seconde s'éleva du sol et tournoya autour de l'ange. L'air tournoya bientôt si vite qu'il attira la lumière. Une tornade de lumière entourait maintenant l'ange qui n'était plus visible. La lumière se referma sur lui, rétrécit, jusqu'à l'engloutir totalement. Losqu'elle se fut repliée sur elle même, il ne restait plus qu'une lumière bleutée en suspension dans l'air. L'essence de l'ange sacrifié. Cet essence fut semée sur les malades. D'ici quelques minutes, ils seraient debout, et les champ de protection ne serait plus utiles.
Ydolem, qui revenait à elle après cette transe angélique, tomba soudain à genoux et se prit la tête dans les mains en gémissant.
"Tant de haine ! Tant de souffrance !"
Elle fut bientôt accompagnée par les cris de la vigie, qui cette fois-çi était catégorique.
"Ils sont là ! Ils sont là !"
Le sol à l'horizon éclatait, déversant des colonnes de lave bouillante et de fumée noire. Et jaillissant du sang de la terre alors que des gerbes de magma semblaient lécher le soleil couchant, une masse grouillante de barbares haineux, comme des colonies de fourmis rouges incandescentes à cette distance, commençait à s'insinuer sur la plaine à la lisière d'Agima, marchant d'un pas décidé au son des tambours de guerre. Les shälämäks seraient sur place au matin...
Et voilou
La prochaine fois, plus d'images
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Suffit de cliquer...
[ Edité par Corvis Le 04 sep 2005 ]
[ Edité par Corvis Le 06 sep 2005 ]