L’heure du loup ( Ingmar Bergman, 1968)
Le peintre Johan ( Max Von Sydow ) et sa femme Alma ( Liv Ullmann ) s’établissent sur une petit île ou Johan espère peindre tranquillement. Une vieille femme apparaît et conseille à Alma de lire le journal intime de son mari caché sous son lit ; commence alors une suite de cauchemars liés aux fantasmes refoulés de Johan.
J’ai calculé tout à l’heure que Bergman était l’un des réalisateurs dont j’ai vu le plus de films aux côtés de Kubrick, De Palma, Hitchcock et Kurosawa. Pourtant je ne suis pas un fervent Bergmanien : si ses travaux des années 50 me plaisent beaucoup et si ses films plus austères m’ennuient en revanche, je suis assez partagé sur sa période expérimentale durant le milieu des années 60.
L’Heure du loup, l’une de ses œuvres les plus étranges et les plus difficiles d’accès s’inscrit bien évidemment dans ce courant.
L’Heure du loup est un film d’horreur. Ne riez pas, c’est un film absolument tétanisant et qui donne au spectateur l’envie de fuir. La scène du flash-back avec le gamin est peut-être la séquence la plus violente vue chez Bergman avec le calvaire du clown dans
La nuit des forains ( les deux sont muettes, d’ailleurs ), et la mise à nu d’une psyché aussi tourmentée ne laisse pas le spectateur indemne
L’Heure du loup c’est le Lynch de
Lost Highway avant l’heure, à savoir la représentation de l’imaginaire mental d’un homme frustré et violent. Évidemment l’ésotérisme règne et il est très difficile d’analyser rationnellement un film rempli de symboles, de métaphores et d’allusions. Subjectivement, je trouve la première partie du film moins captivante a deux grands moments près : l’arrivée de la vieille dame fantomatique ( qui préfigure le Mystery Man de Lynch ) et Mozart joué dans un théâtre de marionnettes. En revanche, la seconde difficilement descriptible dans laquelle Max Von Sydow s’enfonce dans l’aliénation, la sexualité, la vampirisation par les bourgeois qui vident l’artiste de sa force vitale, est une merveille. Attiré par ses démons et par sa volonté de s’accomplir en tant que créateur, Max Von Sydow est à son tour transformé en marionnette de figures hilares qui finiront par l’assassiner. Comme dans tous les Bergman de cette période le travail du chef opérateur Sven Nykvist est grandiose - rarement les captures d’écran me semblaient si faciles à prendre - et les habituels Liv Ullmann et Max Von Sydow sont parfaits.
Un film quasiment expérimental, inégal mais fascinant.
2010 : L’année du premier contact ( Peter Hyams, 1984 )
Neuf ans après l’échec de la mission Discovery et la disparition de Dave Bowman, un équipage composé à la fois d’américains et de soviétiques cherche à comprendre la raison du dysfonctionnement d’HAL 9000.
Cette suite de l’un des films les plus célèbres de l’histoire du cinéma,
2001 l’odyssée de l’espace, réussit l’exploit d’avoir pratiquement disparu de l’inconscient collectif tant quasiment plus personne n’en parle aujourd’hui. Depuis quelques années, de timides tentatives de réhabilitation fleurent ici et là et l’on en vient à se demander si ce
2010 est la bouse conspuée à l’époque ou un grand film sous-estimé.
Ni l’un ni l’autre en réalité, ce
2010 est une œuvre hybride optant pour une voie courageuse : celle de ne pas jouer sur les acquis formels de Kubrick. Pas de grandes ellipses, pas de Strauss ( sauf au générique de début ) et pas de psychédélisme. En réalité,
2010 se veut comme un pendant explicite à
2001 et, j’imagine, est plus une adaptation du livre 2010 qu’une prolongation du Kubrick ( je n’ai pas lu 2010 mais 2001 oui, et le film de Hyams se rapproche plus de Clarke que des ellipses Kubrickiennes ).
Une fois tout cela dit, quid de la qualité du film ? Du bon et du moins bon. Hyams s’oppose encore une fois à Kubrick et se concentre sur ses personnages, ce qui le rend plus humain, plus attachant mais aussi terriblement plus banal. Les décors spatiaux sont superbes, quelques séquences ( la station tournante, Roy Scheider qui console la jeune russe apeurée ) sortent du lot et en pleine guerre froide, le message pacifique est d’autant plus agréable qu’un an après sortait
Rambo II. En revanche, l’aspect plus didactique, plus explicite de
2010 tue une grande partie du mystère et les scènes les plus ésotériques en deviennent ennuyeuses et attendues. Le rythme lent de
2001 était soutenu par une mise en scène virtuose, ici le travail d’artisan appliqué de Hyams peine à transcender son sujet. Les acteurs sont corrects sans plus et malheureusement, on pense trop souvent au Kubrick durant le visionnage.
Une curiosité digne d’intérêt mais trop scolaire pour convaincre réellement.
L’invraisemblable vérité ( Fritz Lang, 1956 )
Austin Spencer ( Sidney Blackmer ) est un éditorialiste connu pour la fermeté de son opposition à la peine de mort. Il convainc Tom Garrett ( Dana Andrews ), son futur gendre, de monter une machination contre lui-même en semant volontairement des indices destinés à le faire condamner pour un meurtre irrésolu, afin de prouver au monde entier qu’un innocent peut facilement être accusé à tort. Leur plan fonctionne parfaitement, jusqu’à ce que Spencer soit tué dans un accident juste avant d’avoir pu innocenter Garrett.
L’Invraisemblable vérité n’est pas un film pour ou contre la peine de mort, mais une œuvre sur la certitude. Comme les personnages du film, le spectateur est ancré dans une position de départ qu’il est voué à soutenir alors même que les faits lui donnent tort. C’est ainsi que le twist final est ici le contraire d’un gadget de petit malin, mais au contraire une remise des choses là ou elles auraient du rester : dans le domaine du doute ( le titre original est d’ailleurs
Beyond a Reasonable Doubt ). Le fait que tous les personnages, y compris le procureur à l’efficacité redoutable, soient présentés a priori sous un jour sympathique renforce la démonstration en permettant au spectateur de s’identifier facilement à ceux-ci et de ne pas demeurer complètement extérieur à leurs positions.
Un scénario en béton armé donc, porté par l’habituelle science du rythme de Fritz Lang et un excellent casting. Ce dernier film américain du cinéaste allemand est une merveille d’épure qui préfigure par certains aspects tout un tas de films contemporains qui ne lui arrivent pas à la cheville, sans parler des innombrables daubes larmoyantes sur la peine de mort ( à comparer avec la concision de la séquence d’exécution au début du Lang ). A titre personnel, je lui préfère d’autres Fritz Lang, y compris
La cinquième victime parmi ses derniers films parce que le caractère un peu théorique de
l’Invraissemblable vérité freine très légèrement mon implication. Reste que c’est un grand film de plus pour un réalisateur qui fête ici son entrée dans mon top 5 de mes réalisateurs favoris.
Meurtre au soleil ( Guy Hamilton, 1982 )
Hercule Poirot enquête sur une petite île méditerranéenne en vue de réparer une fraude à l’assurance dans laquelle l’actrice Arlena ( Diana Rigg ) est impliquée. Arlena est assassinée alors que chaque compagnon de vacances de Poirot semble avoir eu une bonne raison de perpétrer l’acte.
Je vais ici régler mes compte avec deux de mes bêtes noires : Agatha Christie et Guy Hamilton. Honneur aux femmes, l’intérêt des aventures d’Hercule Poirot m’échappe totalement. Ces aristocrates stéréotypés s’entretuant sur fond d’intrigues grotesques m’ennuient et l’absence de relief des personnages secondaires n’a d'égal que la vacuité de Poirot, type suffisantet dénué d’humanité dont je souhaite à chaque fois que ce soit lui qui meure. Ici, on retrouve une bonne partie des stéréotypes habituels : bourgeois arrivistes, couple vacillant, jeune éphèbe tête à claques ou pauvre jeune fille délaissée par son mari. Puis évidemment la résolution finale est grotesque.
Pour dynamiser tout ça, il fallait un très grand cinéaste. On a eu Guy Hamilton. Déjà auteur de plusieurs des pires James Bond de l’histoire (
Les diamants sont éternels,
Vivre et laisser mourir et son humour banania,
L’homme au pistolet d’or plus soporifique tu meurs ), déjà seul des trois cinéastes ayant adapté les aventures d’Harry Palmer à foirer la sienne (
Mes funérailles à Berlin, qui pourtant avait le meilleur scénario des trois ), Hamilton déploie ici toute sa mollesse et tout son académisme. Le meurtre arrive quand même après TROIS QUARTS D’HEURE d’exposition chiante comme tout et le film se traîne à une vitesse de tortue sans la moindre audace de mise en scène.
Au milieu d’un luxueux casting de gens qui s’ennuient, Peter Ustinov confirme qu’il est le meilleur Hercule Poirot. Sinon ben si vous avez une grand-mère, ça devrait lui plaire.
Un film aussi palpitant qu’un épisode du Renard sur France 2.
PS : Après avoir écrit cette critique, j'ai découvert avec surprise que Guy Hamilton, 89 ans, était encore vivant. D'un autre côté, cela m'aurait beaucoup surpris qu'il se tue à la tâche...
Inside Man ( Spike Lee, 2006 )
Une banque est attaquée par des hommes masqués menés par Dalton Russell ( Clive Owen ). Alors que l’inspecteur Frazier ( Denzel Washington ) cherche à comprendre les motivations des preneurs d’otages, Miss White ( Jodie Foster ) est envoyée par le millionnaire Arthur Case ( Christopher Plummer ) pour négocier avec Russell afin qu’il restitue le mystérieux contenu d’un coffre.
Spike Lee n’est pas ma came absolue mais le voir œuvrer dans le film de casse a l’avantage de booster ses qualités tout en atténuant ses défauts. Ainsi, son sens du casting est ici sans défaut et surtout, les dialogues sont dignes du meilleur de Quentin Tarantino ( " Miss White… Kiss my black ass ! " ). Autre chose que j’ai énormément apprécié : le côté peu explicatif. La stratégie assez complexe des braqueurs, qui consiste à se mélanger par alternance avec les vrais otages, est difficilement compréhensible au départ mais se clarifie au fur et à mesure sans que Spike Lee se soit senti obligé de nous l’expliquer par le dialogue, et l’air de rien, faire confiance au spectateur ce n’est plus si courant dans le cinéma hollywoodien. Pour le reste, c’est du film de casse rythmé, intelligent et bien filmé, avec en tête d’affiche un Clive Owen qui en 2006 se payait le luxe de jouer dans deux des meilleurs films de studios de l’année, ce
Inside Man et l’excellent
Les fils de l’homme.
Malheureusement, le Spike Lee militant casse-couilles n’a pas disparu et toute la thématique du nazisme m’a bien gonflé. Cette tarte à la crème du cinéma engagé, à savoir la culpabilité liée à la collaboration, me sort par les yeux tellement elle relève de l’enfonçage de portes ouvertes. Autre défaut, non pas de fond mais de forme, je trouve que le fait d’intercaler durant le film des courtes scènes se déroulant après l’action ( alias flash forward, l’inverse du flash back ) finit par virer au procédé sans grand intérêt, ces séquences n’apportant qui plus est pas grand-chose à part un supplément d’humour.
C’est d’autant plus dommage que le talent de metteur en scène de Spike Lee est aussi évident dans les moments d’action que lors des scènes de dialogue. Au final,
Inside Man est aussi réussi comme divertissement qu’il est raté comme film politique ; fort heureusement, il ne court que le premier lièvre durant la majeure partie de sa durée.
Boris, dans la prochaine série : un film à twist bien débile comme je ne les aime pas, une petite merveille de film de gang oublié et un visionnage que je repousse depuis trois ans pour emmerder mon ami Skarr.