Boris
C'est comme les gens qui te disent " l'école ne m'a pas fait aimer la lecture ". Le but de l'école c'est de te faire lire, point. Te faire apprécier la lecture c'est le rôle de tes parents. Si ils te laissent sur ta tablette H24 c'est pas à l'école de compenser ce truc. Je trouve qu'on a quand même une attitude d'une rare feignasserie intellectuelle à vouloir que l'école nous donne tout cru un savoir parce qu'on n'a pas le courage d'aller le chercher. Tu parles de modèles féminins, mes modèles historiques ce ne sont pas Louis XIV ou Charlemagne moi c'est Geronimo et les frères Gracchus. On ne m'a pas parlé d'eux à l'école, je suis allé les chercher et c'est normal, ce n'est pas à l'école de me parler des apaches, c'est à moi de me renseigner si ça m'intéresse.
Je comprends que t'as voulu répondre vite fait donc c'est peut-être juste simplifié, mais j'ai l'impression que réduire la question du rôle de l'école publique à "instruire" vs. "faire aimer la lecture ou découvrir telle personne" ou à compenser ou non le rôle des parents (rôle dont la définition est par ailleurs assez floue) est simplifier le problème. Sachant qu'on peut sans doute apporter quelques nuances entre Condorcet et Lepeletier de Saint-Fargeau.
Pour moi la question commence aux objectifs qu'on donne à la société, et ensuite on vient définir le rôle de l'école là-dedans. Si tu cherches une société type "égalité des chances et (pseudo-)méritocratie", oui l'école peut en rester à la base, lire, écrire, compter, et on laisse le reste aux individus. Le problème là-dedans est qu'on attend une sorte de responsabilisation des individus qu'ils n'ont vraisemblablement pas tous, que la société ne corrige pas vraiment par d'autres plans ou de manière insuffisante, du coup on laisse se former et se reproduire des inégalités. Le gosse de riches se cultive généralement mieux, réussit généralement mieux, s'en sortira généralement mieux et rebelote à la génération suivante.
Si tu te poses pour objectif de réduire les inégalités, l'école publique est un vecteur important. Et c'est aussi en partie comme ça qu'on a commencé, à une époque où la différence entre les riches et les pauvres était similaire à celle entre ceux qui savent lire et ceux qui ne savent pas, réduire les inégalités commençait par apprendre à lire au maximum de personnes. Aujourd'hui, en dehors de cas assez marginaux, on sait lire, écrire, et on a des bases de calcul. On va même déjà un peu plus loin que ça. Pourtant les inégalités dues à l'éducation et aux connaissances restent, c'est qu'elles sont sans doute déportées sur d'autres connaissances ou compétences, et on peut donner à l'école publique des objectifs dans ce sens pour aider à réduire les inégalités.
C'est même pas une question de forcément se substituer aux parents mais de compléter leur rôle. Sachant que le problème quand on cherche absolument à responsabiliser les parents c'est que ça revient un peu à considérer que les parents partent à égalité pour éduquer leurs enfants et c'est un peu douteux. Contrairement aux profs ou aux instits, y a pas de formation ni de diplôme pour être parent (des petits malins riront sur la "formation" pour être prof mais sur le principe y en a une et c'est un métier). Les parents ne reçoivent pas de cours d'éducation ou de psychologie de l'enfant, ce qu'ils ont à disposition essentiellement c'est leur propre éducation parentale (problème si elle était déjà défaillante), leur curiosité pour se "former" (pareil tout le monde n'est pas à égalité et puis s'il s'agit souvent de bouquins faut être capable de choisir correctement), leurs propres connaissances scolaires ou personnelles quand il s'agira de transmettre à leur enfant, et aussi leur intelligence. Et là je parle même pas du temps que les parents ont à accorder à leurs enfants, tous n'ont pas des horaires adaptés ni beaucoup de vacances, et curieusement les horaires de merde touchent moins souvent les cadres sup'. En bref, tu peux pas raisonnablement demander à un ouvrier d'éduquer son enfant comme un prof ou un ingénieur.
Pour prendre un exemple tout bête, je discutais une fois avec quelqu'un des musées à Londres qui sont pour beaucoup gratuits, ce que personnellement je trouve plutôt bien, et il me dit : "oui mais les musées ça reste un loisir de riche, c'est pas vraiment là que vont les classes populaires même si c'est gratuit". Donc la question c'est soit on fait payer l'entrée vu que si la plupart des visiteurs ont de quoi se payer, autant ne pas se priver, soit on essaye de réfléchir pour rendre les loisirs culturels plus populaires. Parce qu'en fait ça marche aussi pour les médiathèques, le théâtre même quand y a une promo, le cinéma dans le sens cinéphile et pas juste aller voir un film (typiquement qui va dans les cinés Art et Essai ou voir de la VO ?), la musique genre faire du piano etc. Les loisirs populaires c'est plutôt genre le sport (et encore pas tous) et la télé.
Bon, c'est un peu chaud de transmettre à ton gosse la passion d'un art quelconque si t'en as aucune. Et faire apprécier la lecture à un gamin quand toi tu lis pas du tout c'est un peu pareil. Avec un peu de chances tu te dis que tu vas tenter de le stimuler à plusieurs choses et si le gamin est un peu curieux dès le départ ça peut passer, mais même ça ce n'est pas évident de savoir bien le faire. Y aura quelques exceptions comme y a des gosses de riches qui peuvent aussi finir cons et incultes mais tu peux pas vraiment considérer à grande échelle que tout le monde va pouvoir s'en sortir.
Enfin l'idée c'est pas de dire que l'école doit former à tout, dans le détail, de parler de tous les personnages importants dans tout peuple, toute civilisation, même sans parler de rôle à substituer y a simplement pas le temps et faut faire des choix. Donc pour les Apaches, d'accord, c'est pas forcément à l'école de le faire. Le truc c'est que toi pour les Apaches ou le cinéma ou un tas d'autres domaines, et c'est valable pour d'autres personnes ici d'ailleurs, t'as une curiosité intellectuelle suffisamment développée pour aller chercher ces connaissances et en plus t'as la faculté de comprendre et de critiquer ce que tu lis ou regardes. Ce sont des choses qui se développent, avoir la flemme ou un désintérêt pour la médiathèque c'est pas tout à fait la même chose que de pas avoir envie de repasser.
Ce que l'école peut faire, quand les parents ne le font pas pour une raison quelconque, c'est justement essayer de développer la curiosité des enfants, développer leur capacité à apprendre, développer leur esprit critique (cf. récent dossier de l'UNSA là-dessus
http://extranet.unsa-education.com/Docs/Communication/Total/qde30.pdf ). Pourquoi pas "faire apprécier la lecture" aussi d'ailleurs, mais par ces traits qui peuvent influencer ça plus que des tentatives explicites. Le bonus c'est que si on arrivait à faire ça, on aurait peut-être ) terme de meilleurs parents aussi.
tl;dr: pour que les parents fassent du bon boulot, faut déjà bien éduquer les futurs parents.
Weeds, et merci Joker pour la réponse.