Les calamités d'Amsterdam

Posté le Samedi 14 Avril 2018 à 07:13 par JiRock (4985 lectures)

A de nombreux égards, cette saison a été riche. Mais notamment riche... en teams ! Le week-end du 1er avril s'est ainsi tenu, à Amsterdam, l'un des derniers Team Grand Prix qualifiant pour le Pro Tour 25th Anniversary - qui se jouera lui aussi par équipes, au mois d'août.
Avec mes deux compères, Yves Chabot et Stéphane-Jean Martini, nous avons, au cours des mois, écumé ces divers tournois, sans autres succès à cette date que d'ouvrir un véritable zoo de Zacamas...

Un succès comme un autre, quoi. 

Les calamités d'Amsterdam









On est arrivés avec trois heures d'avance.

L'avantage du bus de nuit sur tous les autres modes de transport tient en un mot : le prix. Pour l'ex-étudiant sans revenu fixe que je suis, il est, je l'avoue, assez crucial. Les inconvénients, cependant, sont nombreux, et pas à prendre à la légère :
1) Le trajet est long. Pour Amsterdam, il fallait compter huit heures.
2) Corollaire du 1), le trajet n'est pas assez long pour offrir une nuit de sommeil complète.
3) Les sièges sont de toute manière trop inconfortables pour profiter d'une nuit de sommeil incomplète.
4) Parce que le trajet est long et les sièges inconfortables, certains passagers passent leur nuit incomplète entière à papoter sur toutes sortes de sujets, du mariage au génie de Joss Whedon en passant par les voyages temporels, ce qui doit rendre plus difficile encore pour quiconque d'autre de fermer l'œil ; soit parce que les sujets en question les fascinent, soit (plus probablement) parce qu'ils parlent trop fort.
Je crois qu'il suffira de dire que pour cette fois, nous n'avons pas eu à souffrir du 4).

Une autre raison pour laquelle Steph et moi prenons le bus de nuit - ou du moins un contre-argument à l'une des nombreuses raisons de ne pas le prendre - est que Steph possède la faculté enviable de s'endormir absolument n'importe où. On a pu me faire la remarque que c'est aussi mon cas, et en effet, je pique du nez plutôt vite en voiture ; mais n'importe qui à avoir déjà pris le bus avec Steph mesurera le ridicule d'une telle comparaison.

Toujours est-il que cette fois, la faute aux mystères de l'univers, nous n'avons que très peu dormi dans le bus, et c'est à peu près dans cet état que nous sommes arrivés à la gare routière d'Amsterdam.
L'heure d'arrivée prévue était 6:30, soit deux heures et demie avant l'ouverture de la salle. Le cadran numérique du bus indiquait 4:30. Comme Steph dut me l'expliquer deux fois avant que mon cerveau engourdi ne l'intègre, il ne tenait pas compte du changement d'heure ; mais ça faisait tout de même deux heures et demie au total à tituber en attendant l'ouverture de la salle. Zombies que nous étions, le temps que nous nous traînions jusqu'au métro, les automates avaient déjà été pris d'assaut par quarante autres passagers pas spécialement débrouillards, si bien que prendre les transports semblait impliquer une bonne demi-heure d'attente dans le froid.
Tant qu'à devoir tuer le temps et supporter le froid, autant marcher, n'est-ce pas ?

A 7:15, nous arrivons (déjà !) au centre de congrès "RAI Amsterdam", qui doit abriter le GP. Nous tentons une entrée. Les vigiles, un peu pris de court, ne savent pas vers quel hall nous diriger, et nous font poliment comprendre d'aller voir ailleurs. Rebelote à une autre entrée, après avoir déniché des sortes de bancs rembourrés ou il aurait fait bon s'allonger comme des sans-abri pendant deux heures. (Personnellement, à ce stade, l'air frais m'a pas mal réveillé, mais fidèle à lui-même, Steph semble prêt à reprendre sa nuit n'importe où.)
Heureusement, le hall qu'on nous pointe ensuite s'avère être le bon. Malheureusement, la salle n'ouvre pas à neuf, mais dix heures, et un jeune vigile zélé barre la porte derrière laquelle attendent les sièges tant fantasmés. Steph prouve alors son impatience à regagner les bras de Morphée.







Au cours des interminables deux heures et trente minutes restantes, tout le staff arbitral nous passe devant, avec d'occasionnels coups d'œil intrigués (mais rares, ce sont des arbitres, ils ont tout vu). D'autres groupes, des vendeurs, nous doublent également, traînant le plus souvent une ou deux valises derrière eux, mais parfois de simples sacs semblables aux nôtres. Je demande au vigile s'il nous aurait laissé passer si nous nous étions présentés comme arbitres ou vendeurs. Son "yeah, probably" achève de me démoraliser.


Yves, lui, ne prend pas le bus de nuit. Sa technique est imparable : il travaille le vendredi. Elle est doublement efficace, parce que 1) il ne peut matériellement pas partir le jeudi soir et 2) avec l'argent qu'il gagne, il peut se payer le train ou l'avion.
C'est diaboliquement ingénieux. Je devrais sans doute faire la même chose.
Et puis ça permettrait à Stef de dormir dans le bus.



Le report









Cela fait un moment que je n'avais pas écrit de report pour MC. Beaucoup m'ont interrogé à ce sujet, certains (gentiment) reproché, et à d'autres encore j'ai fait des promesses sans les tenir.
La vérité est, comme souvent, nuancée. J'aime écrire, mais ça me demande du temps et, surtout, une impulsion. Certains tournois ou week-ends m'inspirent plus que d'autres, sans que je puisse d'ailleurs anticiper lesquels. Chaque tournoi, en effet, est une expérience aux multiples facettes, avec, au-delà du jeu lui-même, ses restos, ses rencontres, ses anecdotes plus ou moins drôles, mais qu'on s'efforcera de rendre croustillantes... Et le tout se condense en un souvenir qui se prête plus ou moins à être partagé.
Enfin, tout pourrait l'être, je suppose, avec un effort... La flemme est un ennemi puissant. Il y a des jours où j'affronterais Nicol Bolas plutôt qu'une page blanche.

Ce que j'essaie de dire, c'est que pour vous satisfaire autant que pour me satisfaire moi-même - sans parler des plus hauts pouvoirs qui président à la destinée de ce site -, vous devriez pouvoir me lire plus fréquemment à l'avenir ; et si vous parvenez à la fin de cet article, vous trouverez une autre nouvelle allant dans le même sens. 



Vendredi


Les plus observateurs d'entre vous l'auront remarqué, les tables de la photo ci-dessus ne comportent que quatre places, au lieu des six que requerrait un tournoi en Team Trio. C'est parce que (scoop !) il ne s'agit pas des tables du main event du GP. En fait, elles ont attiré mon attention (et une photo) en arrivant, mais n'ayant pas pensé à me renseigner ensuite, je n'ai toujours aucune idée de leur fonction. Nos premières spéculations comprenaient l'aire VIP ou un service de dating entre joueurs proposé par Channel Fireball, mais n'hésitez pas en commentaire à faire vos propres hypothèses.

La journée du vendredi s'est passée à tester en limité ; individuellement, puisque notre troisième joueur n'arrivait que tard le soir. De façon choquante, la plupart des side events intéressants sur les Team GPs se jouent en team, et comme Channel Fireball a désormais le monopole de leur organisation, les tarifs dans l'ensemble ont bien augmenté. C'est donc sur les 8-men de draft que je me suis rabattu, les enchaînant jusqu'à en remporter un à la troisième tentative.








Comme d'habitude, les photos sont désespérément floues, aussi ceux d'entre vous qui ne reconnaissez pas les cartes d'un coup d'œil pouvez retrouver toutes les listes sur mon profil.

Les decks étaient tous bons, voire excellents, et auraient à mon sens tous "mérité" (avec les gros guillemets qu'impose cette idée) d'atteindre la finale de leurs drafts respectifs. Mais il y a une chose que j'en suis venu à comprendre sur les 8-men de GP : parce que le niveau des joueurs est extrêmement hétérogène, comparé à un draft en boutique, entre potes ou même sur MTGO, on se retrouve souvent avec deux à trois decks d'une puissance absurde et le reste qui souffrent de grosses lacunes - que ce soit dans la manabase, la curve, la cohérence du plan de jeu ou juste la qualité individuelle des cartes. En conséquence, certaines rondes sont bien plus faciles que d'autres, et il suffit d'avoir la malchance de tomber en quart sur un joueur expérimenté pour subir des sorties et des synergies terriblement dégénérées, de nature à empêcher notre propre monstre d'exprimer son potentiel.
C'est notamment ce qui m'est arrivé avec le deuxième deck, blanc-noir Midrange, éliminé par un Monobleu Ascend tout à fait exceptionnel, qui splashait Tetzimoc, Tendershoot Dryad et Charging Monstrosaur avec (entre autres) le carré de Sailor of Means...


Les divers formats limité Rivals of Ixalan (Sealed, Draft et Team Sealed) m'ont tous plu, à divers degrés. Autant je détestais le draft Ixalan pour sa rigidité et le côté expéditif des parties, autant le draft Rivals, avec leur lenteur chronique et la prédominance d'archétypes noirs réactifs, colle parfaitement à mes attentes personnelles. Le scellé, au contraire, a un peu perdu, à cause de rares craquées qu'il est difficile de combattre car à moins d'un pool très spécial, on ne parviendra pas à "passer en-dessous", c'est à dire se montrer assez agressif pour amortir leur impact. On gagnera souvent à viser le late game, ou en tout cas à s'y préparer, en se donnant toutefois les moyens de sortir aggro pour les match-ups où on n'y serait pas favorisé. Un bon résumé, somme toute, de ce qu'est aujourd'hui le scellé.

Pour clore la journée du vendredi, nous avons justement participé à un "double-up" en scellé : l'un de ces quelques tournois rentables où les prix sont doublés. Mon pool contenait des rares puissantes et de quoi les splasher, ce qui simplifie la construction, mais j'ai quand même eu un choix difficile à faire entre ces deux versions de l'archétype Dinos Ramp, culminant dans une Zetalpa avec l'excellent Forerunner rouge pour la dédoubler.






Naya Dinos Ramp peut se décliner en  splashant  ou en  splashant , le splash se justifiant pour des removals, des bombes de haut de curve ou de très bons dinosaures à 4-5 manas - si le fixing le permet, les trois à la fois. Le premier build bénéficiait d'une meilleure curve, d'un mana sink supplémentaire avec Shapers of Nature, et surtout de ne pas devoir splasher le double blanc de Zetalpa. Le second gagne Rekindling Phoenix, des bêtes de curve moins nombreuses, mais un poil plus agressives, ainsi qu'une plus grande quantité de removals (la deuxième Mutiny n'étant pas maindeckée).
Parce que l'importance d'une bonne curve a ses limites quand on ne se veut pas agressif et que le format regorge de bombes et semi-bombes à faible endurance, j'aurais dû préférer le second build. Seulement, à la construction, j'avais inclus Shapers of Nature dans les deux, ce qui, avec Zetalpa, m'avait donné l'impression d'un gros écart de stabilité. Ce n'est qu'ensuite que j'ai réalisé que j'aurais pu me passer de la gold ondine, pour un deck à peine moins stable que l'initial et nettement supérieur.


La journée terminée, nous prenons le bus pour rejoindre un Ibis Budget proche de l'aéroport, donc légèrement excentré. Les transports amstellodamois (oui, on dit comme ça) sont chers : six euros le ticket de bus, et non-réutilisable, malgré nos quelques tentatives infructueuses. L'hôtel était classe comparé à ses homonymes d'autres pays, mais nous a infligé un étrange surcoût de 40 euros pour la "troisième personne" dans la chambre, comme si la réservation ne le spécifiait pas déjà ; une taxe d'autant plus inexplicable que le troisième lit n'était pas fait à notre arrivée, ni n'a été refait d'une nuit sur l'autre... 
Bref, Steph fait son lit, puis s'écroule dessus, tandis qu'Yves et moi regardons Reid Duke se frayer un chemin à travers des decks improbables avec Temur Moon en Modern. Il finira par s'endormir devant la vidéo sans éteindre la lumière. J'imagine que ça aura couvert une partie de la "taxe".


Samedi


Le réveil était programmé à 7:45 pour choper le bus de huit heures et quelque. Inutile de préciser que ce fut un échec. Je ne sais pas quelle malédiction me prédispose, ville après ville, à une indifférence totale de la part des chauffeurs de bus quand je cours à toutes jambes pour les attraper, mais elle est tenace.
Le taxi que nous appelons comprend qu'il doit venir nous chercher à l'aéroport, d'où une attente qui se prolonge d'une dizaine de minutes alors qu'il refait ce tronçon inutile en sens inverse. Finalement, nous arrivons à temps pour le deckbuilding - ce qui, au vu de la nature sacrément chaotique du week-end jusque là, sonne comme une chance indécente.

Je réalise que faute de vous avoir narré nos précédentes expériences, vous ne connaissez probablement pas mes coéquipiers, et que le moment est peut-être venu d'une courte présentation.
Yves Chabot est un joueur très talentueux, très fluide et très intuitif. Vous le verrez régulièrement en jour 2 de Grand Prix, jouant ses parties avec flegme et décontraction, une petite chansonnette lui trottant dans la tête alors qu'il distribue d'élégantes mandales. Yves gagne des PPTQs avec des decks qu'il n'a jamais pilotés. Il sait compter, mais on dirait qu'il n'en a pas besoin. Quand je l'interroge sur une attaque possiblement létale, il me répondra un truc comme "non, je ne le sens pas" ; et à vrai dire, tant qu'il a raison, ça me va.
Stéphane-Jean Martini, alias Burn-Man, est un mystérieux personnage. De ce que j'ai pu reconstituer, il a croisé un jour la route d'un Djinn pas très altruiste, auquel il a immédiatement demandé la jeunesse éternelle. L'autre, facétieux, a préféré lui refiler une myriade de super pouvoirs dérisoires, mais d'une valeur cumulée équivalente à sa demande. Ainsi, Steph peut dormir n'importe où. Ouvrir des portails invisibles vers d'autres dimensions indistinguables de la nôtre. Topdecker Boros Charm quand son adversaire est à 4 (mais seulement dans ce cas). Quand il est en forme, il parvient même à nous faire ouvrir Zacama dans tous nos pools de Team Sealed ! Autant d'aptitudes qui forcent l'admiration, malgré leurs applications réduites. Ma théorie implique qu'il en a plein d'autres (marcher sous l'eau, parler aux escargots, ce genre de choses), mais que je ne les ai pas encore découvertes - et maintenant qu'elle est publique, il est à craindre que plus jamais aucune ne se manifeste.

Notre préparation pour Amsterdam, même comparée à celle des précédents Team GPs (Madrid et Lyon 2017, Lyon et Madrid 2018), avait été très complète, avec une bonne dizaine de pools construits ensemble au cours de séances hebdomadaires avec d'autres teams. La scène compétitive parisienne est actuellement très active, et des initiatives excellentes ont vu le jour : parmi elles, ce rendez-vous du mardi soir initié par Rémi Fortier et l'association MLG, destiné à aider des joueurs motivés à se lancer sur le circuit local des PPTQs, ainsi qu'à préparer les prochains GPs. Il y a un aspect "partage de connaissances", voire "passage de flambeau" (pour verser un peu plus dans la solennité), qui me parle et qui m'enthousiasme dans ce genre de projet ; et c'est encore grâce à MLG, nommément Florent Toupry, que j'ai récemment eu l'occasion d'assurer le coverage d'un PPTQ parisien. Je prends beaucoup de plaisir à jouer à Magic, mais presque autant à en parler, donc si vous organisez un tournoi et cherchez quelqu'un pour le commenter, n'hésitez pas à me contacter !





Le deck de Steph, ci-dessus, était à mon avis notre plus faible du Jour 1. Je n'ai pas de photos des autres, mais voici la liste du mien et Yves jouait un blanc-noir Vampires supérieur à la norme, mais assez classique.

De manière générale, le Team Sealed tend à ressembler davantage au draft, et c'est le cas avec Rivals of Ixalan. Les decks sont cohérents, curvés et de qualité, bien que parfois saupoudrés d'un ou deux fillers du fait d'un léger manque de cartes jouables dans le bloc. Pour ceux qui ne connaîtraient pas le principe, je vous renvoie à cet article de notre cher Leland : il s'agit de builder trois decks, et trois sideboards correspondants, à partir d'un pool de douze boosters. Fatalement, par rapport au draft, la hiérarchie des couleurs y est moins prononcée, et toutes sortes d'archétypes peuvent tirer leur épingle du jeu avec la bonne ouverture. Cependant, certaines combinaisons restent plus viables que d'autres, et il existe un nombre limité de façons de les agencer, aussi avons-nous souvent abouti à l'une des configurations suivantes :
A) BW Vampires / RG Dinos (avec ou sans splash) / UB ou UR Pirates
B) UG Merfolk / BW Vampires / UB ou UR Pirates
Le deck Merfolk demande pas mal de payoffs tribaux pour valoir le coup, aussi A) est-il bien plus courant que B). Certains pools ne donnent pas de deck Vampires, on se retrouve alors avec des combinaisons exotiques comme BG Midrange - où la qualité des créatures vertes se couple à celle des sorts non-créature noirs pour donner un deck essentiellement "goostuff", sans synergies tribales. 

Avec de telles machines de guerre entre les mains, cette première étape du week-end s'annonçait bien... et c'est pourquoi nous avons, sans surprise, succombé dès la première ronde. L'équipe adverse n'avait rien de si redoutable et nous avons fait de notre mieux, mais aussi difficile qu'il me soit de l'admettre, certains matchs ne sont pas joués pour être remportés. Ne sont pas joués tout court, en fait. :/
Et puis nous sommes remontés. Lentement, mais sûrement ; nous rapprochant ronde par ronde des tables où le tournoi se jouait vraiment. Avec, en chemin, deux épisodes plutôt déconcertants.

Ronde 2 : à peine sommes-nous assis qu'un arbitre nous informe que nos decklists n'ont pas été retrouvées. Bien que nous les ayons rendues au tout dernier moment, ce fait demeure inexplicable (et inexpliqué), et la description minutieuse que fournit Steph de l'arbitre à les avoir ramassées ("il avait une écharpe") ne suffit pas à l'identifier.
La procédure dans ce cas est, au choix, amusante ou fastidieuse, puisqu'il s'agit de prendre des photos des trois decks avec leurs sideboards... Nos adversaires ont donc passé un bon quart d'heure à nous attendre, pour finalement perdre le match 3-0 si vite que le temps additionnel n'a pas été nécessaire.

Ronde 3 : Yves joue contre une fille. Non, ça ne constitue pas en soi un "épisode déconcertant". Juste une anomalie statistique. -_-
La suite, c'est lui qui me l'a racontée car en bon teammate, j'étais occupé à perdre mon match à côté.
La fille lui dit qu'elle tient à recompter son deck parce qu'au cours du précédent match, pas mal de cartes ont changé de contrôleur ou de côté de la table (d'où un risque qu'elles aient accidentellement changé de propriétaire). Elle s'y attelle donc, consciencieusement. Deux fois. Yves, qui a accepté ce contretemps avec son flegme habituel, se dit que tant qu'à faire, autant qu'il le recompte aussi, n'est-ce pas.
Ce faisant, au milieu des sleeves Channel Fireball, il trouve une sleeve Face to Face Games (ou l'inverse). Elle était apparemment passée inaperçue lors des deux premiers comptages.
On appelle un arbitre.
L'arbitre, pragmatique, suggère que "ça doit être un Mutavault" (la promo du GP). Apparemment, non. Il recompte le deck, qui fait 39 cartes sans celle à la sleeve dépareillée. Il prend la fille à part pour lui demander comment cette carte mystère (dont nous n'avons pas connaissance à ce stade) a bien pu se retrouver dans son deck. Il lui explique que de toute façon, elle prendra une game loss pour avoir présenté un deck illégal. Elle fond en larmes. De façon compréhensible, mon adversaire a un peu de mal à se concentrer et, aidé en cela par l'arbitre, va faire de son mieux pour la consoler. Nous, ben... On ne sait toujours pas ce qui s'est passé, donc on assiste, un peu gênés.

Un bataillon d'arbitres part en exploration à travers la salle, pour retrouver Orazca la carte malencontreusement échangée. Il s'avère que ce n'était pas Orazca, mais le tombeau d'Elenda (GG à eux quand même pour l'avoir retrouvé). Son précédent adversaire le lui avait dérobé, et laissé un Bishop of Binding en compensation. A sa place, j'aurais carrément donné une random commune, mais passons.
La fille sèche ses larmes et entame la deuxième partie du match, après avoir (dura lex, sed lex) perdu la première. Elle garde une main qui fait Profane Procession tour 3. Yves, en parfait gentleman, fait l'une des rares sorties curvées dont son deck est capable et lui roule dessus.

A la fin du match, la fille discute avec nous de ce qui lui a causé une telle émotion. Au-delà de la game loss, dont je conçois qu'en situation, elle puisse paraître injustifiée, elle nous dit qu'elle subit régulièrement des commentaires difficiles à qualifier autrement que de sexistes, du genre "C'est ton copain qui t'a appris à jouer ?" (le mec du milieu, qui m'a battu, n'est pas du tout son copain). Qu'elle se sent obligée de faire ses preuves à Magic, plus que ses potes masculins. Ce sont des réalités dont la plupart des joueurs, moi compris, ont déjà conscience, enfin j'imagine, mais auxquelles je n'avais jamais été personnellement confronté. Sans vouloir donner de leçons à personne - parce que je n'ai aucune légitimité -, la prochaine fois que vous passera par la tête la question "qui t'a appris à jouer ?", considérez que peut-être votre interlocutrice est capable d'apprendre des choses toute seule, et que "comment" est probablement une question plus appropriée. 


Aussi efficace que soit la fameuse tactique du sous-marin, notre remontée s'achèvera finalement en ronde 8, face à une très bonne team composée d'Elias Klocker, Carsten Linden et Immanuel Gerschenson, et c'est avec le score honorable de 6-2 que nous aborderons le dimanche du GP.


Dimanche






La répartition des archétypes n'est pas un enjeu majeur en Team Sealed, dans le sens où son influence sur les résultats reste limitée ; mais sur le plan stratégique, elle pose néanmoins des questions intéressantes.
D'abord, il faut voir que ce problème de répartition en regroupe trois distincts : des decks entre les joueurs, des joueurs entre les sièges (A, B et C) et... des decks entre les sièges.

Celle des decks entre les joueurs demande un peu de travail, mais n'est pas difficile à optimiser, puisqu'il s'agira d'assigner à chacun le ou les archétypes qu'il ou elle maîtrise le mieux, une fois le format entamé, et de ne pas en bouger pour approfondir continuellement cette expertise. On y perd un peu sur le plan de la communication entre joueurs, qui sera moins enrichissante qu'à connaissance égale de tous les decks, mais communiquer n'est pas un objectif en soi - et franchement, quitte à anéantir une belle idée reçue sur les tournois en team, on gagne même, pour jouer au mieux, à le faire le moins possible. Il y a peut-être quelques teams, comme le fameux Peach Garden Oath, dont la valeur excède la somme de leurs membres (et encore, avec de tels membres, difficile d'en être sûr) ; mais pour la plupart, les conseils, remarques, regards entendus et autres chuchotements frénétiques s'avèrent plus disruptifs de la concentration et de la cohérence des plays que véritablement utiles.

La question de la répartition des joueurs entre les trois sièges n'a pas de réponse universelle. En fait, selon les particularités de votre team, il y existe une infinité de réponses : A se fritte avec C, B ne peut pas déplacer sa chaise, A sera en moyenne plus près des toilettes... Au fil des discussions, j'en ai dégagé deux qui puissent prétendre à une forme d'objectivité :
1) B doit être le joueur le plus à même de donner des conseils, voire jouer plusieurs parties en même temps, donc le plus expérimenté. Aussi faut-il lui attribuer le deck avec les décisions les plus nombreuses et/ou complexes. Plus l'écart de niveau - ou de familiarité avec le format - est grand, ou perçu comme tel, entre les membres d'une team, plus cette réponse courante apparaît pertinente.
2) B joue le deck dont les parties se terminent le plus vite, afin de pouvoir consacrer plus de temps à aider ses coéquipiers. A la fois pendant ses propres games, qui seront plus ramassées en termes de tours, et après les avoir gagnées (dans le cas contraire, elles mettent en général plus de temps à s'achever). Cette réponse valorise, d'une certaine façon, la "quantité" d'aide apportée au cours d'un match, plutôt que sa "qualité", à savoir la valeur ajoutée du joueur B.

Or, si j'ai distingué plus haut entre le placement des joueurs et le placement des decks, c'est parce que les réponses numérotées 1) et 2) forment la base de la dernière dimension du problème, qu'on pourrait pompeusement appeler le metagaming en Team Sealed.
L'idée est simple : à supposer que les teams adverses cherchent à optimiser le placement de leurs joueurs, elles auront abouti soit à la réponse 1), soit à la réponse 2). Il s'agit alors d'identifier quels decks, dans le format, peuvent correspondre à chacune de ces alternatives, et à leur opposer des decks avec des match-ups favorables pour, en quelque sorte, réfléchir au niveau du dessus.
En théorie, comme toute notion du genre, c'est juteux. Après tout, on metagame déjà à Magic, alors pourquoi ne pas le faire à cette autre échelle ? En pratique, ça pose tellement de difficultés que c'en est virtuellement inapplicable. A commencer par le fait que cette méthode de choix entre en conflit direct avec les autres raisons d'assigner tel joueur à tel siège, qu'elles soient d'ordre personnel ou plus objectives... Mais même à considérer une team hypothétique dont les membres auraient tous le même niveau de jeu et aucune préférence de place, savoir quelles conclusions tirer d'une telle réflexion n'a rien de trivial ! La réponse 1) pointe vers des decks grindy, réactifs, propices à jouer des games longues... tout le contraire du 2), en somme. Les teams adverses, même excellentes, peuvent très bien avoir négligé cet aspect de leur préparation, ou privilégié des raisons totalement différentes du fait d'une égalité de niveau entre leurs membres. Cela fait juste énormément d'inconnues et de variables ; trop, à mon avis pour faire passer ce critère au-dessus de n'importe quel autre.

Bon, OK, éventuellement la proximité des toilettes.




Si j'ai abordé dans le détail ces questions tordues, malgré leur faible incidence, c'est que la dynamique des match-ups en limité, et particulièrement en Team Sealed, est pour le coup plus riche et plus importante qu'on ne le pense. Certes, fonder le placement de vos joueurs ou de vos decks sur des match-ups attendus demande des certitudes que je suis loin d'avoir ; mais à un tout autre niveau, comprendre la façon dont un deck comme BW Vampires matche contre UG Merfolk peut influencer votre construction, la répartition des cartes de side, voire vous amener à construire un plan de side transformatif pour certains match-ups que vous estimeriez trop difficiles. Ainsi, Merfolk a du mal à faire la course contre le vol et le lifelink, donc préférera se réorienter vers une stratégie moins linéaire, par exemple un plan Ramp avec des Colossal Dreadmaw accélérés par des Sailor of Means. Les premiers piétineront par-dessus les tokens tandis que les seconds dissuaderont la contre-attaque.

Pour être vraiment exact, cet exemple, tiré du limité triple Ixalan, a perdu de sa pertinence avec l'arrivée de Rivals : les tokens Vampire 1/1 lifelink sont moins nombreux, à l'inverse des hard removals capables de gérer Colossal Dreadmaw, et l'archétype BW a pris une direction plus Midrange que swarm. Mais il illustre bien, je trouve, les considérations "meta" qui peuvent influencer le build et le sideboarding en scellé. C'est un sujet sur lequel j'écrirais des articles entiers, d'autant plus que la littérature existante est rare, donc ne soyez pas surpris de tomber sur d'autres pavés indigestes au détour de futurs reports. (Il faut bien que ça sorte.)


Pour revenir au Grand Prix Amsterdam, nos decks du J2 n'étaient pas au niveau du J1, ce qui s'est indéniablement ressenti sur la performance. Un douloureux 2-4 nous a portés à 8-6, soit à deux matchs entiers du premier Pro Point, loin de ce que mon degré de préparation m'avait laissé espérer. Cependant, il faut garder à l'esprit que les Team GPs sont globalement moins bien dotés, et que sans byes, atteindre les scores "attendus" demande des pourcentages de victoire assez ridicules. Pour vous donner une idée, rares sont les formats où je dépasse (individuellement) 65%, or un score de 10-4 sans byes équivaut à 71,5... Avec deux byes, on descend à 67%, un chiffre toujours ambitieux, mais déjà plus raisonnable.

Nous avons aussi commis - et par "nous", j'entends moi - quelques erreurs dignes d'être mentionnées. En miroir de UR Pirates contre une version nettement plus agressive, j'ai désidé Vance's Blasting Cannons sur la draw au motif que la carte semblait trop lente. Or j'avais rentré Dual Shot et Tilonalli's Crown, donc opéré un début de transition vers un plan plus contrôle ; dans ce contexte, sortir ma principale source de card advantage n'avait pas de sens, parce que j'allais chercher à faire traîner la partie sans me donner les moyens de capitaliser.
Une autre erreur, peut-être plus concrète, est intervenue dans un autre miroir. Après un mulligan à 5, je me retrouve avec Bombard face à deux Mist-Cloaked Herald (oui oui, dans Pirates...), joués aux tours 1 et 4, et ma seule menace vient de mourir sur un Repeating Barrage. Je pioche Tilonalli's Crown et décide, avec mes cinq manas, de n'utiliser que la Crown, gardant Bombard en main pour une créature plus menaçante. Seulement, si mon adversaire avait d'autres menaces, il en aurait déployé une soit au tour 3, soit au tour 4, au lieu d'un second Herald. Même si la cible ne semblait pas valoir le coup, en attendant, je lui permettais de remonter Repeating Barrage, et me coupais sans doute la possibilité de gagner en topdeckant immédiatement une créature. Parfois, claquer d'excellentes cartes sur de mauvaises communes est le meilleur moyen d'atteindre une issue favorable, aussi douloureux que soit le geste pour nous autres amoureux du CA et de la value... C'est une leçon que j'ai apprise, mais que j'ai toujours du mal à mettre en pratique. 



Et ensuite...







Pour être tout à fait franc avec vous, je n'ai jamais aimé les Grand Prix en team. Les journées sont plus longues, la dotation moins généreuse, mais surtout, l'illusion de contrôle sur sa destinée est faible. Je dirais bien le contrôle, si ce n'est qu'à Magic, celui qu'on exerce sur la variance est toujours relatif, et dans le fond, c'est principalement son illusion que je recherche. L'illusion que tous les échecs sont la conséquence d'erreurs, et la réussite méritée. L'illusion qu'en faisant de mon mieux, je continuerai à réaliser mes rêves, l'un après l'autre.
Jusque là, elle a tenu, mais un rien peut la briser, et si je reconnais une chose à cette série de Team GPs (outre, bien sûr, tout le fun qu'ils m'ont apporté), c'est d'avoir contribué à la garder intacte.

Il reste un Grand Prix en Team Sealed à Bologne, dans le format Dominaria naissant, et ne serait-ce que pour goûter à cette nouvelle flopée de cartes, j'avoue avoir bien hâte d'y participer. Après quoi, retour au Standard et à l'individuel en mai, à Birmingham, qui sera aussi l'occasion pour moi d'étrenner mon troisième bye !

Ah oui, parce que je suis passé Gold, tiens, j'avais oublié de le mentionner.
Zacama prend vraiment toute la place. 



Avant de se quitter, je voulais quand même vous glisser un mot d'un nouveau projet auquel j'ai été convié. Ça s'appelle Metagame, c'est une chaîne Twitch ainsi qu'un site web qui ne tardera pas à s'étoffer. Le contenu est 100% francophone (enfin, avec les quelques termes de franglais occasionnels) et produit bénévolement par des joueurs confirmés, sous l'impulsion de Samuel Vuillot et Elliott Boussaud, et avec toujours plus de contributeurs.
Personnellement, j'ai déjà un peu streamé pour la chaîne, avec le jeudi de 20 à 23h comme créneau horaire récurrent si vous voulez m'y retrouver. Il y aussi une super émission que je vous recommande et qui présente tous les qualifiés français au prochain PT : c'est un peu "people", et dans d'autres domaines, ça m'aurait sans doute prodigieusement ennuyé, mais comme ça a trait à Magic et que je connais tout le monde, j'ai pris beaucoup de plaisir à l'écouter... et à y participer. 
Le projet a une page FB, sobrement intitulée "Metagame", qui vous renseignera sur les diffusions à venir si vous êtes intéressé(e). 

Voilà, je crois que j'ai tout dit. Ça faisait un bail.
Je promets que le prochain sera moins lourd à digérer... Mais vous savez ce que ça vaut.


A bientôt !

JiRock

Ajouter un commentaire

Vous n'êtes pas connecté ! connectez-vous ou inscrivez-vous pour poster un commentaire