Article Magic : Magic et les arts martiaux

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Magic et les arts martiaux

Type : Magic Tactique

Catégorie :

Posté le 20/08/2018 par chercheur

Finalement, on ne se refait pas… Malgré l'échec du partage de mon précédent article, je remets le couvert. Avec le souhait de pouvoir cette fois mieux répondre aux attentes des lecteurs de ce site.

« Notre but dans la vie est de continuer à échouer sans perdre le moral… »


Bref, pourquoi remettre le couvert ? Parce que j’aime bien tenir parole. J’avais en effet évoqué dans les commentaires de mon précédent travail que je concevais des liens éclairants entre Magic et la pratique des arts martiaux.
Malgré les critiques reçues avant même de développer mes arguments (je pense en particulier à la remarque de TheWretched concernant la faiblesse de vouloir relier des choses en apparence radicalement différentes), le récent report de Jirock intitulé « Du crépuscule à l’aube » – dont j’apprécie éminemment la plume (j’en profite pour partager ici l’immense plaisir que j’ai à lire tes écrits sur ce site, ce qui est vrai aussi des textes de Moudou entre autres et en particulier) – me pousse à y revenir. J’expliquerai par la suite plus en détail pourquoi.


Se prendre avec innocence…

Commençons dans l’ordre. Qu’est-ce qui pourrait légitimer un tel rapprochement – les arts martiaux et Magic ?
Écrivons cartes sur table (sans mauvais jeu de mots). C’est tout simplement ma sensibilité. Je ne prétends pas que je pourrai convaincre tout le monde. Je n’en ai pas la moindre prétention. J’assume complètement ici que je prends le risque de ne pas trouver d'écho auprès de nombreuses autres personnes et que je fais d’emblée le deuil d’une possible partage, ici sur ce site, sur le plan de la conscience.

Cela posé, j’ai cependant le souhait d'ouvrir de possibles horizons, à ceux qui seront touchés par cette tentative de partage de ma subjectivité. Cela fait peut-être beaucoup de précautions initiales ; mais on le sait, chat échaudé craint l’eau froide.

Donc, disais-je, ma sensibilité. Ou mon expérience. Forgée à partir d’années de pratique des arts martiaux et de jeu à Magic. C’est le premier point. Le second point, c'est évidemment les éléments concrets sur lesquels je vais m’appuyer – éléments que je vais interpréter (hé oui, sinon je n’invoquerai pas la subjectivité à mon secours…).
 
 
Faites la guerre – pas l’amour !

Appelons un chat un chat. Magic, c'est du combat. Tout le jeu s’appuie sur l’imaginaire du duel, de la confrontation et de la guerre. Significativement, on retrouve tout l'imaginaire du combat dans les termes clefs des règles (phase de combat, attribution des blessures, etc.) – et d’autres tout aussi évocateur, comme « se battre » pour les créatures.
Par ailleurs, tout l’univers fictionnel qui caractérise le « flavour » immersif et visuel de Magic est celui de la guerre. Désolé pour ceux qui pouvaient encore penser que c’était un jeu basé sur le suspense d’une romance impossible entre deux êtres séparés par des forces qui les dépassent. Si cela arrive, c’est loin en retrait derrière le destin de telle ou telle communauté ou clan ou plan en lutte contre une autre communauté/clan/plan/être maléfique tout puissant (par exemple, Nicol Bolas).
Alors, certes, me direz-vous, on est loin de la réalité des arts martiaux.
Bon avant d’aller plus loin, entendons-nous sur le terme d’arts martiaux.
Je suis parfaitement conscient qu’il existe de nombreuses façons de définir ce domaine de pratique corporelle. Les lecteurs et joueurs de ce site qui pratiquent peuvent avoir différentes opinions ; mais pour plus de clarté, voici la mienne : les arts martiaux sont un ensemble de pratiques pédagogiques pour apprendre, en relation avec d’autres personnes et de manière codifiée, des gestes guerriers conçus pour maximiser les chances de l'emporter dans une confrontation à un ou plusieurs adversaires, armés ou non.
En clair, je tiens à distinguer le combat des arts martiaux (j’associe ces derniers à l’espace d’enseignement). Le combat a pour but de voler (ou arracher le plus violemment possible) pour tous les moyens imaginables la vie de l’autre, avant que l’autre ne le fasse. Les arts martiaux sont un espace de jeu où l’on mime cette violence – en espérant que l’on soit capable de transférer les compétences acquises sur les tatamis dans le contexte beaucoup moins sécurisé de la vie réelle.

 
Revenons à nos moutons, jouer à Magic est bien moins engageant que le vrai combat. On n'est pas là pour arracher la glotte d’un type, lui crever les yeux, l’étouffer contre soi, lui briser les membres, lui trancher les organes, etc. On joue tout simplement (et plus paisiblement) des cartes et toute la confrontation se passe sur un plan symbolique. À la fin, on se serre (normalement) la main, et on continue de vivre.
Mais c’est un peu cela les arts martiaux : si on tue son partenaire de pratique, on ne peut plus rien apprendre de lui. Donc, sur les tatamis, on joue, de façon à sans cesse faire reculer la frontière de ses capacités. On joue, car on se salue une fois qu’on a exécuté notre technique potentiellement mortelle, et on recommence…

Cela veut dire que, d’un certain point de vue, on peut repérer des éléments significativement similaires entre Magic et les arts martiaux. À commencer par le fait que le principe du jeu consiste, globalement, à descendre les 20 points de vie de son adversaire à 0 (j’exclus ici les variantes et les façons alternatives de gagner, mais on peut adapter cette analyse). Et perdre la vie, c’est en un sens mourir - dans le jeu. Tout le sens de chaque partie est d’y parvenir avant l’autre, en développant les stratégies les plus efficaces possibles.
 
Je me permets aussi de faire l’hypothèse suivante : j'estime que ce n’est pas un hasard si certains joueurs aiment jouer à Magic et parallèlement de s'investir dans les arts martiaux. Au-delà des joueurs que je connais et que je ne vais pas énumérer ici, je pense en particulier à Raphaël Lévy, qui est un joueur français de haut niveau, tout autant qu’il est un pratiquant de Jiu-Jitsu d'un niveau également assez élevé. Dans l’interview qu’il accorde à Moudou (elle est postée sur ce même site), il évoque le fait que les deux tiennent une place non seulement importante dans sa vie, mais dans une certaine mesure complémentaire.

Je ne dis pas que j’ai la certitude que la pratique du Jiu-Jitsu l’aide à jouer à Magic, mais j’y vois le signe que l’un et l’autre comblent un même besoin, selon ses propres moyens. En d’autres termes, ce sont des chemins différents qui nourrissent un même désir de s’enrichir dans son existence.
 
 
Sensibilité et pouvoir de l’« intention »

Alors ok, me direz-vous, admettons que le parallèle se tienne. Mais qu’est-ce que cela peut apporter à la pratique du jeu en soi ? Qu’est-ce que cela peut apporter de faire le lien entre Magic et les arts martiaux pour un joueur de cartes ?
Mon idée est que cela peut ouvrir des pistes, que ce soit pour comprendre les enjeux potentiels du jeu – sur un plan existentiel – ou pour trouver des pistes pour améliorer sa façon de jouer – quand on est passionné de compétition. Je vais développer succinctement et successivement ces deux points.
 
La sensibilité
Premier point, le plan existentiel que j’évoque correspond à la question suivante que j’aime me poser : « quel est le sens profond de m’investir dans un objet aussi détaché de la réalité que Magic ? ».
Bien sûr, il n’est pas nécessaire de lui en donner. On peut tout à fait vivre Magic comme une fuite d’un quotidien un peu triste et pauvre. Il n’y a pas de mal à cela. Je vais toutefois plutôt développer le sens opposé : comment faire de Magic une pratique qui peut m’enrichir un peu plus profondément que sur le mode de la fuite du réel ?

Ce qui peut aider, c’est le fait de comprendre, comme dans les arts martiaux, que la technique martiale ou le type de stratégie que l’on choisit n’est qu’un support, et non une finalité en soi. Le support de quoi ? D’un développement de la sensibilité.
Je m’explique. Qu’est-ce qui fait que je peux acquérir des compétences dans ma vie de tous les jours en répétant des gestes guerriers complètement anachroniques ? C’est le fait qu’ils peuvent m’ouvrir à plus de conscience, sur moi ou sur le champ des possibles dans ma façon d’interagir avec autrui. Cette ouverture de la conscience ; c’est une voie privilégiée d’enrichissement de soi. 
 
Oui, j’en viens à dire qu’il est possible d’envisager Magic comme une possible forme de pratique d'ouverture de la conscience, si on en fait une voie de remise en question constructive de soi et de développement sans fin de sa sensibilité. Ce qui appuie cette idée, ce sont par exemple les écrits de Jirock et de Moudou. Si on va bien au cœur de ce qu’ils analysent, ce qu’ils partagent en profondeur c’est le cheminement de leur sensibilité qui ne cesse d’apprendre à évaluer au mieux les valeurs de tel ou tel choix, les valeurs de telle ou telle carte dans telle ou telle configuration. Bref, leur capacité à envisager de toujours faire mieux en augmentant leur degré de lecture des chemins qui peuvent aboutir à des victoires.
Réciproquement, pour ceux qui pratiquent les arts martiaux à un niveau suffisamment avancé, il apparaît que ce qui permet de prendre un ascendant décisif sur une autre personne, c’est moins la technique que l’état d’esprit avec lequel on l’affronte. Cela concerne le concept d’intention : c’est celui qui a l’intention la plus forte de nuire à l’autre qui a le plus de chance de prendre l’ascendant.

Je vous renvoie, pour ceux qui sont intéressés d’en savoir davantage, à la pratique de Léo Tamaki et à ses écrits sur le sujet, ainsi qu'aux maîtres impressionnants qu’il invite – je pense en particulier à maître Kuroda, qui est considéré comme un génie des arts martiaux et dont la technique est considérée comme « divine » au Japon (pour l’anecdote, je me suis retrouvé à me ratatiner à plusieurs mètres de distance de lui alors qu’il ne faisait que lever son sabre… impossible de comprendre comment un geste extérieurement aussi anodin provoque de telles réactions si on ne pense pas une intensité inhérente à la façon d’investir de tout son être ce geste).

Tout cela pour dire que les arts martiaux s’appuient moins sur l’acquisition d’un répertoire technique que sur le développement de la sensibilité – sensibilité que l’on peut exercer au quotidien de multiples façons différentes.


L’intention
J’en viens à mon dernier point : en quoi savoir cela peut-il aider à jouer ? Je vais m’appuyer ici sur le report récent de Jirock de ses aventures à Bologne.

Le passage clef qui m’intéresse (et m’interpelle) est celui à la fin où il raconte sa confrontation avec un expert de Magic qui l’impressionne : Marcio Carvalho. Jirock évoque l’interférence, avec l’aspect « objectivement » stratégique de la partie, que provoque l’influence liée à la renommée de ce joueur. Et il pose la question de savoir comment éliminer ce handicap.
Je vais me permettre de partager mon expérience de chercheur. Et de mon point de vue, une voie possible et intéressante pour développer la capacité à ne pas subir cette pression, c’est de développer un état d’esprit proprement martial.
 
Je m’explique ; j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs experts et maîtres de haut niveau dans les arts martiaux. Des personnes qui sont capables de réaliser des prouesses, littéralement, qui défient ce que nous sommes capables de concevoir à partir de nos expériences quotidiennes. Pourtant, malgré la profondeur de leurs savoirs, un des enjeux pour celui qui souhaite acquérir des compétences transférables des tatamis à la vie réelle est de savoir faire clairement la distinction entre ce qui marche uniquement dans le contexte de l’enseignement (et qui peut être spectaculaire) et ce qui marche en tout contexte.
Comment faire cette distinction ? Selon la façon dont nous nous positionnons à l’égard de ces maîtres.

Pour recevoir un enseignement, nous nous mettons naturellement en résonance et en empathie avec l’instructeur ; ce qui nous amène à recevoir et à vivre des choses fabuleuses. Mais les conditions de réalisation de ces techniques reposent sur un piège de mentaliste : sur un conditionnement préalable qui nous amène naturellement, par devers nous, à potentialiser le geste du maître (de la même façon, nous développons inconsciemment des stratégies où nous nous mettons en position d’échouer face aux figures qui nous impressionnent pour les maintenir dans leur position idéalisée).

Or, le cadre du combat est celui où nous désirons ardemment crever l’autre, de toutes nos forces. Dans ces moments-là, on réduit l’autre à un objet. C’est à partir de cet état d’esprit que l’on peut faire la distinction plus claire entre ce qui est spectaculaire mais n’a pas d’application martiale, et ce qui est réellement efficace. Le geste réellement efficace martialement a pour vocation de fonctionner à l’encontre de la volonté d’infliger le plus grand mal et ne s'appuie sur aucune adhésion de la partie adverse.
 
Ce long développement a pour but d’aboutir à cette idée : que l’intérêt des arts martiaux concerne, entre autres, la capacité de développer la maîtrise de notre intention. Cette intention touche à notre rapport au monde et aux autres.
Maîtriser l’intention ce n’est pas être prisonnier de ses émotions (comme la colère) : c’est la capacité d’exercer une pression parfois formidable (je parle de se sentir liquéfié ou écrasé par la seule présence d’une personne intensément présente, même si elle a 70 ans et qu’elle ne mesure qu’1m60 et pèse 50 kilos) en étant au fond très lucide et calme.

Dans un jeu tel que Magic, en particulier dans le cadre des tournois, on peut mesurer l’intérêt d’une telle faculté. Celle de se détacher de l’influence que peut exercer l’aura d’une personne (en raison de sa notoriété, de son passé et de ses réalisations) en l’objectivant comme un simple être contre lequel on va mobiliser toutes ses ressources pour le défaire.
Et en retour – mais c’est peut-être éthiquement un point limite –, elle donne la capacité de pouvoir soi-même exercer de la pression pour gêner l’adversaire (ce qui, toutefois, selon mon expérience, coûte généralement une grande quantité d’énergie qui a tendance à épuiser).
« Ayant fait un tour d’horizon de l’œuvre, le critique sait qu’il n’en fera jamais le tour… »


Cet article, sans doute trop bref et imprécis à plein d’endroits, peut s’enrichir de nombreux autres développements – comme la proximité entre les conditions d’efficacité au combat (le fait d’être le plus direct possible, de dissimuler ses gestes, etc.) et les conditions d’efficacité à Magic (en particulier en ce qui concerne les archétypes aggro). Le principe est ici d’ouvrir des horizons, tant pour valoriser le potentiel de Magic que de continuer à ouvrir le champ des possibles – ce qui en fait m’intéresse fondamentalement le plus.

J’espère sincèrement que ces réflexions vous intéresseront et susciteront des pistes que je souhaite enrichissantes. Au plaisir de lire des remarques, des questions ou des critiques constructives et bienveillantes !
 
 
 

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