Le Choix de Vannemir
Par Adam Lee
Vannemir était debout, surveillant le campement orque depuis le sommet d’un pic glacé. Pik, le jeune aveugle, était blotti contre son cheval épuisé, la cape relevée autour de ses oreilles. Après des jours à poursuivre la piste, ils avaient finalement rattrapé Guldark et sa bande de bouchers torgash. Il attacha les rênes au pin le plus proche et porta son attention sur la multitude de maraudeurs assoiffés de sang en contrebas. Près de vingt ou trente d’entre eux avaient monté leur camp non loin d’une caverne sur le côté de la falaise. Pour la plupart, ils appartenaient au clan Torgash. Ils ne semblaient pas avoir conscience d'être suivis, et encore moins d'être suivis par un homme solitaire et un garçon, mais Vannemir ne voulait prendre aucun risque afin de ne pas être repéré par les sens aiguisés des éclaireurs orques, aussi, ils restèrent tous deux à une distance raisonnable. Les orques s’étaient étalés, avaient monté leurs tentes camouflées, posté des gardes et allumé les feux de cuisine pour rôtir les prises de la nuit. Il y avait aussi plusieurs marques d'un clan que Vannemir ne reconnaissait pas.
« Pik, il y a un symbole plus bas, un carré avec deux lignes en travers, tu connais ce clan ? »
« Les Grak, monsieur. Du moins, c’est comme ça qu’on les appelle. » dit le garçon. « Ils sont très compétents. Ils vous tueront aussi vite qu’ils crachent. Ce sont eux qui ont tué mon père il y a deux ans et qui m’ont arraché les yeux. Bien que je ne me plaigne pas, je suis vraiment chanceux d’être encore en vie. » Il souffla sur ses mains pour en conserver la chaleur. Son visage était jeune mais hanté. Il était facile de voir qu’il avait traversé l’enfer et en était revenu. « Est-ce que vous pensez que ma sœur est toujours vivante monsieur ? Pouvez-vous la voir ? »
« Il n’y a aucun moyen de le dire. » répondit Vannemir, en retirant son capuchon et en retroussant la manche de cuir de son bras armé. « Mais une chose est sûre, elle aura de meilleures chances de survie si j’y vais avant qu’ils ne cuisent la viande de ce soir. » il se tourna vers le jeune homme tremblant et lui tendit son manteau. « Là. Mets ça et attends. Si ta sœur est en vie je la ramènerai avec moi quand je reviendrai. »
« Il y en a beaucoup monsieur ? »
« Non. » mentit Vannemir. « Juste quelques uns. Ca ne sera pas long. » Il détacha l’Epée Runique de sa selle et accrocha le fourreau à sa ceinture. Il rejoignit le jeune homme et posa la main sur son épaule. « Surveille le cheval, Pik. Je serai bientôt de retour. »
« Vous êtes courageux d'affronter ces orques vous-même, monsieur. Vous devez sûrement avoir quelque chose. » Vannemir rampa sur la pente escarpée et enneigée en direction du campement orque. « Quelque chose. » marmonna-t-il. « Un truc dans ce goût là. »
Il y a six jours, Vannemir était mort. Tranché en deux par une hache orque alors qu’il défendait son village contre un raid. C’était une vraie bénédiction de ne pas avoir été témoin du massacre brutal par Guldark et son clan Torgash de tout ce qu’il connaissait . Sous le choc, il essaya de reculer,mais son esprit figé l'empêcha de faire fonctionner son corps correctement. Le mal était fait, il s’étala dans la boue glacée, étendu dans son sang qui s’infiltrait dans la terre gelée. C’était comme si le sol drainait toute sa chaleur par un lien inconnu. Un vide immense l'attira vers la source de son être. Le bruit de l’acier et les sons de son village déchiré s’étaient effacés et les choses devinrent silencieuses autour de lui. Il entendit une voix l’appeler, d’abord douce et distante, puis de plus en plus proche.
« Vannemir, fils de Valharad. » dit une voix limpide presque comme si elle était dans son esprit. Il sortit sa tête de la boue et aperçut un être défiant tout ce qu’il aurait pu imaginer. Elle était bien plus qu'un être humain. Sa beauté était originaire d’un royaume céleste et d’elle émanait une aura de pouvoir. Pendant un temps incertain, il ne sut détacher son regard du visage radieux dont chaque œil contenait un univers de merveilles, puis, il prit conscience de la silhouette flottante, portée de chaque côté par des ailes chatoyantes et immenses dont les plumes luisaient d’un éclat qui leur était propre. Entre ses mains, elle tenait deux lames fines, chacune étant aussi grande qu’un homme, reliées par une simple chaîne en platine brillant. Elle était parée de pièces de métal scintillantes sur lesquelles étaient forgés des symboles sacrés et revêtait un tissu d’un autre monde. Comme ses dernières réserves de force l’abandonnaient, il sentit les mains de l’apparition l’entourer, le remettre debout et l’entraîner dans les airs. Jusqu’où allait-il, il n'aurait su le dire, mais il s’élevait, porté par les ailes géantes. Il regarda sous lui, c’était comme dans un rêve : il admirait les terres en dessous couvertes de neige loin, volant à travers les nuages et par-dessus les montagnes en direction du repère de la
Valkyrie.
Vannemir se réveilla sur un bloc de pierre massif en suspension à environ 1m50 du sol, avec partout des symboles élaborés et des signes sculptés. Tous ces ornements géométriques irradiaient autour de lui et sur la table de pierre en un grand halo de lumière. Les dessins étaient incrustés d’argent et autres métaux précieux. C’était une vaste salle circulaire avec un dôme au plafond qui devait se situer à 30m ou plus du sol. Le centre du dôme s’ouvrait sur un ciel bleu et lumineux. Les murs étaient parfaitement lisses, il n’y avait aucune porte visible comme s’il se trouvait dans le creux d’une montagne.
Il s’assit et se trouva enveloppé de lin. Il remarqua aussi que ses blessures avaient disparu. Son bras, il était presque sûr de l’avoir vu fracassé par le premier coup qu’il avait subit, était de nouveau entier et musclé. L’entaille béante sur son torse s’était évanouie, sans même la moindre trace d’enflure ou de douleur. En poussant plus loin son inventaire, il constata que même ses vieilles blessures de précédentes batailles avaient été soignées ; la raideur de son bras portant le bouclier, l’ancienne fracture de sa jambe. Tout était soigné.
« Par les dieux. » murmura-t-il par crainte, sa voix faisant écho dans l’immense pièce.
Une ombre apparut par l’ouverture bleu vif. La Valkyrie était revenue, entamant sa descente dans une spirale de cercles réguliers. Même en présence de la lumière blanche des murs, elle brillait comme la lune. Elle atterrit avec légèreté et avança vers Vannemir toujours assis sur la gigantesque table. « Fils de Valharad » dit-elle en approchant, sa voix l’entourant comme un chœur de cristal. Elle s’arrêta devant lui, son regard pénétrant au plus profond de son être. Il se sentait comme une souris sous le regard perçant d’un aigle. « Ton temps sur cette terre n’est pas encore achevé. Tu dois accomplir encore une dernière tâche avant de pouvoir trinquer avec tes ancêtres dans le Hall de Valor. »
Vannemir était stupéfait. « Alors c’est vrai ? Les contes sur le Grand Hall sont fondés ? »
« Ils le sont. »
Vannemir se prit la tête. La pensée que tous ceux qui lui étaient chers, tous ceux tombés dans les innombrables batailles contre d’indénombrables ennemis, l’attendaient pour vider des chopes de bière et raconter des histoires de bravoure et de sang, s’infiltra dans son âme. « Je suis fatigué de me battre et j’aspire à revoir mon père. Je souhaite entendre son rire et parcourir les champs avec lui. »
La Valkyrie posa la main sur son épaule. « Je ne t’envie pas, fils de Valharad, tu es condamné à vivre entre deux mondes et à souffrir pour obtenir le droit de te réveiller aux côtés de ton père. Tu chemines sur la difficile route de la guerre et du sang, en sachant peu et en percevant moins encore et pour cela la souffrance est ta récompense. Mais il existe des sentiers, même dans l’ère meurtrière où tu vis. Ces sentiers traversent les ténèbres insondables et conduisent à un lieu semblable au royaume des dieux. C’est un de ces chemins que tu dois emprunter et, bien que la route sera sanglante, elle te permettra de repousser les ténèbres de ton monde pour des siècles. »
« Ai-je le choix ? »
« Laisse moi illuminer ton cœur » elle se tourna et fit un signe en direction du mur avec un bras qui semblait taillé dans l’albâtre.
Sur le mur, des images se mirent à défiler telles des fantômes et la lumière du dôme faiblit comme l’ouverture s’occultait, les laissant dans le noir complet. Puis une scène scintillante apparut tout autour d'eux sur l’imposant mur concentrique. Vannemir prit quelques secondes pour reconnaître son village, brûlé et dévasté. Il tourna sur lui-même et se serait cru revenu chez lui s’il n’y avait eu la table de pierre géante et la Valkyrie près de lui.
« C’est mon village. » la Valkyrie était debout à côté de lui, impassible. La scène changea et il vit un homme – un sorcier – regardant fixement une feuille de glace tourbillonnante qui procurait visions et folie. Il pouvait sentir le terrifiant pouvoir du mage, du feu bleu brûlait autour de ses tempes, il cria et se retira de la source des connaissances interdites qui pervertissaient son propre esprit.
« Qui est cet homme ? » demanda Vannemir.
« Son nom est
Heidar, le maître de Soufflegivre. Il cherche à conserver le monde enchâssé dans la glace jusqu’à la fin des temps et faire du Dégel un lointain souvenir. »
« Le Dégel » dit Vannemir. La Valkyrie acquiesça.
La vision changea pour révéler une colossale armée dirigée par les
chevaliers de Stromgald, surgissant de leur trou fétide, se déversant sur les terres comme une marée noire, détruisant village après village, les habitants tués étant grotesquement ramenés à la vie par les nécromanciens krovois et envoyés au front pour être massacrés de nouveau dans l’armée des non-morts.
Le mur lui montra une assemblée de seigneurs de guerre orques organisant des parties de guerre géante pour déverser leur fureur dans les montagnes, anéantissant tout sur leur passage comme une avalanche mortelle. Ils marchaient aux côtés des Karpluséans sur la plaine de Kjeldor, la foule hystérique hurlant son impatience d’en découdre. Au centre de la mêlée, il repéra un sombre sorcier chevauchant une terrible bête, entouré de mages lançant des arcs de feu glacé et emprisonnant leurs ennemis dans la glace. Des
machines immenses les suivaient, semblables à de grands sauriens métalliques. Ils s’entrechoquaient avec le groupe des résistants, réduisant des légions entières en un carnage sans nom. Colonies après colonies étaient radiées de la surface de Terisiare. Les bersekers balduvians jaillissaient des collines pour se battre, tentant d’endiguer la déferlante, mais il n’étaient pas de taille face aux forces d’Heidar et de sa terrible armée. Déjà les villes et les petites cités commençaient à tomber. Cette dévastation était trop horrible pour être supportée. Vannemir se couvrit les yeux.
« Arrêtez ça ! Ca 'arrivera jamais ! » hurla-t-il, son esprit retranché aux limites du vraisemblable et même au-delà.
« Ouvre les yeux, fils de Valharad ! Vois ce qui arrivera si tu ne te décides pas à agir. Ouvre les yeux sur cette vérité si tu renies ton destin ! » La voie de la Valkyrie se tut, ordonnant à son cœur d’affronter ce que son esprit ne pouvait pas. Il tomba à genoux et vit le futur de son monde se dévoiler devant lui.
Les énormes armées des Kjeldoriens et des Balduvians s’étaient rassemblées sur le champ devant la cité de Kjeld et il vit une bataille qui se grava dans sa mémoire. Les mots ne pouvaient décrire le massacre et son ampleur alors qu’il pouvait voir les Kjeldoriens et les Balduvians inexorablement submergés, anéantis par les machines d’Heidar construites dans l’unique but de tuer des hommes. Son cœur se serra quand les portes massives de Kjeld craquèrent puis éclatèrent, laissant ainsi pénétrer la horde malveillante. Il vit les vaillants
chevaliers célestes chuter des airs tels des pierres, gelés par la sorcellerie d’Heidar. Il vit les croisés de l’Ordre du Bouclier blanc sur leur monture ailée être harcelés par des horreurs à ailes de chauve-souris issues des entrailles de Krov. Les vampires krovois filaient sur les murs comme des insectes pour se repaître des archers et piquiers en même temps que les impressionnantes machines de mort pulvérisaient la pierre et la chair avec leurs griffes meurtrières.
Il reconnut
Darien, le roi du Kjeldor sur son destrier ralliant ses hommes, mais en pure perte car un éclair meurtrier d’énergie cryomantique le frappa et le désarçonna de son cheval. Il fut ainsi propulsé contre un mur, ses os se brisant contre la pierre. Son corps glissa au sol, enchâssé dans son armure et dénué de vie.
Puis il vit Heidar devenir le maître de Terisiare et tous s’inclinèrent devant son terrible pouvoir. Les terres furent plongées dans le plus profond des hivers comme le Dégel commençait à céder, repoussé par Heidar et ses
sorciers de Soufflegivre, laissant une couche de glace d'une trentaine de mètres d’épaisseur recouvrir le continent entier. La souffrance des hommes était inimaginable.
Vannemir fixait le vide alors que l’ouverture illuminait de nouveau le dôme, dissipant les visions et ne laissant qu’un mur blanc. Pendant un long moment, il resta à genoux dans la grande pièce dans un silence complet, le seul bruit étant les battements de son cœur. Puis le silence fut brisé quand la Valkyrie proféra un simple mot.
« Choisis. »
Vannemir revint à lui dans une forêt de sapins couverts de neige et de glace. Il regarda autour de lui, cherchant à s'orienter. Il ne savait pas où il était ni combien de temps s’était écoulé depuis sa rencontre avec la Valkyrie. A environ trente pas de là un cheval renâclait comme pour attirer son attention. Il marcha vers lui, remarquant la selle, le sac et les vivres. Il vit également un fourreau attaché sur le côté de la selle. La poignée enveloppée de cuir noir et le pommeau arborant un symbole semblable à ceux du repère de la Valkyrie. Il avança pour dégainer l’épée.
« Méfie-toi de cette chose. » l’interpella une voix venant du dessus. Vannemir bondit en arrière, regarda vers le haut et trouva un elfe dans l’arbre au-dessus de lui, accroupi sur l’une des branches. « C’est une Epée Runique. Très dangereuse. »
« Oh ? » Vannemir examina l’elfe avec circonspection. Il n’y avait pas moyen de deviner l’âge des elfes ; à trente ans ou plus, ils restaient physiquement les mêmes, mais il pouvait cependant dire que celui-là était un chasseur, pas un de ces oreilles-pointues hautain. « Qui es-tu ? »
« Je m’appelle Taaveti de Kelsinko. Je suis là pour t’aider. » Taaveti sauta à terre, évoquant l’eau qui s’écoulait d’une cascade. Une fois au sol, il pointa l’épée du doigt. « Ysidra m’a transmis l’épée pour que je te la donne. J’ai fourni le cheval et le paquetage. Elle m’a tenu au courant de ta quête. »
« Ysidra ? Qui est-ce ? »
« Ysidra, tu l’as rencontrée : la Valkyrie. Tu as dû la remarquer."
« Tu la connais ? » Vannemir était étonné par cet elfe nerveux vêtu d’une tunique de cuir verte et brune et d’une cape rapiécée qui parlait d’un être tel qu’Ysidra avec tant de désinvolture.
« Oh oui, notre rencontre remonte à une époque plus calme où Ardakar n’était pas autant désolée. » Taaveti devait lire l’incrédulité sur le visage de Vannemir. « J’ai vécu plusieurs fois ta faible espérance de vie et j’en ai beaucoup vu durant mon existence sur ces terres, humain. »
Taaveti et Vannemir parlèrent quelques instants de sa quête. Un prisonnier avait été fait par le seigneur de guerre de Torgash et sa bande de maraudeurs, un prisonnier sur lequel le destin entier de Terisiare reposait. Il devait secourir l’otage à tout prix. Taaveti avait accepté de l’emmener aussi loin que nécessaire pour trouver la piste des troupes du clan Torgash et le reste dépendait de Vannemir. Puis ils discutèrent des pouvoirs de l’Epée Runique.
« C’est un
Fylgia. » dit Taaveti. « Ou plutôt, il existe un Fylgia relié à l’épée. Pour la plupart, comme tu le sais, ils sont attachés à des animaux, mais celui-là a trouvé sa voie dans cette épée. C’est assez puissant, m’a-t-on dit, donc tu devras faire attention la première fois que tu la sortiras de son fourreau car elle essaiera probablement de … eh bien … de te tuer. »
« Quoi ? » s’exclama Vannemir. « Quelle sorte d’épée est-ce là ? »
« Eh bien, techniquement, ce n’est pas l’épée, c’est le Fylgia lié à elle. » répondit Taaveti. « Il ne te considérera sûrement pas comme un ami et souhaitera plus probablement te traiter en ennemi puis tentera de capturer ton âme, surtout depuis que … »
« C’est de la folie ! » éclata Vannemir. « Mon âme ? Je ne sais pas comment combattre les esprits ! Je sais seulement pourfendre des orques, et encore, j’ai été tué par plusieurs d’entre eux il n’y a même pas une semaine ! »
« Ecoute Vannemir. » dit Taaveti d’un ton amical mais ferme. « Ysidra doit avoir pensé que tu es capable de l’utiliser, même si tu es un fichu oreilles-rondes. Elle sait probablement si tu peux ou non vaincre un tel esprit dans une lutte de volonté. »
Vannemir secoua la tête et fixa ses pieds. « Je ne sais pas. Ca semble juste si dément. »
« Toutes les actions héroïques paraissent folles au départ. C’est pourquoi il y a si peu de héros dans ce monde. » Taaveti regarda Vannemir. « Tu auras besoin de l’aide du Fylgia si tu dois affronter les Torgash, leurs shamanes sont assez puissants et ils me localiseraient même moi si je tentais de les infiltrer, alors ils te sentiront assurément dès que tu seras à cent cinquante mètres d’eux. Ils n’accepteront pas que tu t’en ailles avec un de leur prisonnier et tu n’es ni sorcier, ni mage, donc tu feras comme si tu te séparais de leur chemin après t’être malencontreusement approché d’eux. Ca semble être la meilleure solution, mais qui suis-je pour le dire, je ne suis qu’un chasseur. »
Vannemir resta songeur un moment puis dit : « Je m’occuperai de cela le moment venu. Mène moi à la piste des Torgash. J’aviserai de quoi faire du Fylgia le moment venu. »
« Ca paraît sensé. » Taaveti bondit sur ses pieds, passa son arc à l’épaule et siffla. Après un instant, un cheval arriva. Taaveti se mit en selle.
« Allons débusquer une piste. »
Il s’agissait juste d’un campement parmi d’autres sur Terisiare. Des gens simples y vivaient, fermiers et chasseurs, menant leur vie précaire dans les neiges froides de l’ère glacière, innocents et inconscients des fous qui les entouraient comme des vipères et des démons. Vannemir descendit de cheval et marcha entre les ruines et les morts. Taaveti l’avait conduit à la piste.
« Torgash. » Taaveti sortit une flèche de sorte que Vannemir puisse le voir, puis il désigna le sol. « Ils se dirigeaient vers le Sud, le plus probablement pour rencontrer
Sek’kuar, un chef de guerre orque puissant et cruel. Une assemblée des clans a dû être ordonnée, pour qu’ils se préparent à marcher sur Kjeldor en passant les montagnes. »
« Ces personnes n’avaient que faire des intrigues sur le Dégel. » dit Vannemir en contemplant les cadavres avec tristesse. « La plupart d’entre eux n’avaient même pas connaissance de l’existence des orques et maintenant, ils sont par terre, massacrés pour quoi ? En quoi étaient-ils une menace pour Heidar ? Penses-tu qu’ils pouvaient changer le cours de la bataille du Dégel, même s’ils l’avaient souhaité ? Ils sont innocents Taaveti ! »
Taaveti écoutait sans broncher. Il avait vu trop de guerres faire rage, chacune apportant plus de problèmes qu’elle était sensée en résoudre. En fait, c’était la folie qui étreignait les races de Dominaria.
Soudain, Taaveti se raidit. « Ecoute ! »
Vannemir tendit l’oreille, figé sur place. Puis, il perçu un gémissement très faible au loin.
Taaveti passa à l’action, se déplaçant rapidement jusqu’au centre du petit village, atteignant finalement la coquille de débris fumants que formait un taudis.
« Là-dedans ! »
Vannemir l’entendait maintenant. Il courut pour aider Taaveti à déblayer la pierre et le bois carbonisé.
« Sous le sol » murmura Taaveti. « En dessous d’ici ! »
Taaveti frappa par terre avec l’extrémité de son arc jusqu’à entendre un « toc » sonore immédiatement suivi par davantage de sons de détresse. Des sons humains. Taaveti sourit largement à Vannemir. « Bingo »
Tous deux enlevèrent les gravas et ouvrirent la trappe qui révéla un petit garçon d’environ douze ans, roulé en boule, paniqué et effrayé. Il était aveugle.
« T’en fais pas mon garçon. » dit doucement Vannemir. « Tu es en sécurité maintenant. Tout va bien. » Il sortit le gamin des décombres et l’enveloppa dans son manteau.
Quand le garçon commença à se calmer un peu, la première chose qu’il demanda fut : « Avez-vous vu ma sœur ? »
Taaveti et Vannemir s’entreregardèrent, leur cœur se serrant.
« Non, nous ne l’avons pas vue. » dit Vannemir gravement.
« Eh bien, elle est resté avec moi pendant un moment, mais elle a paniqué et s’est enfuie en courant pour rejoindre notre mère. Je l’ai entendue crier peu après. Vous pensez qu’elle est toujours en vie ? »
Taaveti regarda Vannemir. « Les orques prennent des prisonniers pour en faire des esclaves. C’est possible. »
Le garçon aveugle tourna la tête dans leur direction.
« Gardons espoir. » Vannemir regarda le jeune garçon dans les yeux. « Si elle est en vie, nous la trouverons, je te le promets. »
« Quel est ton nom petit ? » demanda Taaveti au garçon.
« Pik, monsieur. Mon vrai nom est Uskyld mais tout le monde m’appelle Pik. »
« Alors ce sera Pik. » dit Taaveti, souriant au jeune garçon. « Je te laisse aux soins du brave Vannemir, jeune Pik. Il prendra soin de toi jusqu’à ce qu’il soit en mesure de te trouver un foyer décent. Il se retourna et siffla sa monture. Il regarda Vannemir. « Mon devoir s’arrête ici, oreilles-rondes, et je suis lié aux bois de la Yavimaya. Je t’ai trouvé de la meilleure compagnie qui soit et j’espère un jour t’accueillir chez moi. Bonne chance dans ta quête et puisse ta route être plus paisible dans un avenir meilleur. » Il tendit la main.
Vannemir la prit. « Tu me manqueras, elfe. Puissions nous nous revoir. » Après cela, Taaveti sauta en selle et fila tel une flèche.
« C’était vraiment un elfe, monsieur ? » demanda Pik.
« Oui, et aussi une des meilleures âmes qu’il m’ait été donné de rencontrer. »
Vannemir et Pik voyagèrent pendant plusieurs jours, poursuivant les orques grâce à la piste de neige souillée et de cadavres. Quand ils chevauchaient, ils parlaient peu, chacun semblant connaître l’autre, évitant les discussions stériles, chaque mot étant significatif et honnête alors qu’ils filaient le seigneur des Torgash. Finalement, ils le trouvèrent à l’entrée d’une caverne.
Vannemir marchait sur la pente couverte de neige en direction du campement torgash, marmonnant entre ses dents. Ses pensées focalisées sur l’Epée Runique et le Fylgia.
« Quelque chose. Vous avez sûrement quelque chose. Ouais, ben je ferais mieux d’avoir quelque chose et cette épée ferait mieux d’être quelque chose et de faire quelque chose de réel rapidement sinon on est bon pour mille ans de glace et d’enfer pour le genre humain, sous la domination d’un tyran psychopathe qui vénère une feuille de givre brillante. » Il agrippa la poignée de l’Epée Runique et cracha dans la neige. « De toute façon, rien ne va ! »
Il libéra l’épée de son fourreau.
Au départ, il ne se passa rien. Il la fixa, perplexe, regardant chaque partie de l’ancienne épée. Il la secoua légèrement. Elle ressemblait à une épée classique. Puis quelque chose se passa : de l’argent en fusion courut le long de l’arme depuis la pointe jusqu’à la poignée, enflammant des runes jusque là invisibles, transformant l’épée en une éclatante torche d’acier. Elle bourdonnait d’un pouvoir antique. L’argent en fusion rampa ensuite de la garde à son bras, puis s’insinua à l’intérieur de ce dernier, parcourant ses os comme du vif-argent. Il pouvait sentir son squelette, presque se le représenter mentalement alors que l’énergie pénétrait cœur et esprit.
Il était sur un autre monde. Devant lui se tenait un léopard des neiges de nature immatérielle, fait d’un tissage d’énergie iridescente donc chaque fil ondulait d'un sens à l’autre à des vitesses ahurissantes. Il n’avait jamais vu une chose semblable, presque aussi grande qu’un homme avec des yeux quasiment humains. Il observait Vannemir de manière inconfortable. Il était en train de le jauger, son énergie sondant chaque subtilité de son être. Il fut connecté à l’esprit, ressentant de plus en plus sa nature sauvage et puissante à mesure que leur énergie fusionnait, jusqu’à ne faire plus qu’un.
Le Fylgia bougea à l’intérieur de lui et ce fut comme si ses os prirent feu.
« Âme de mon âme. » dit le Fylgia. « Je vais devenir toi. Sois prêt. »
Vannemir se prépara, son cœur battant la chamade tandis qu’il serrait les dents sur une grimace de douleur. Puis son échine entra en éruption à la manière d’un volcan. Ses nerfs se transformèrent en filaments de feu liquide, brûlant comme un soleil, emplissant son corps entier de souffrance. Son esprit hurla, se raccrochant, à tout ce qui pourrait lui éviter d’être réduit en poussière, mais le Fylgia le repoussa, envoyant tout hors de contrôle, l’envoyant hors de son être, l’envoyant vers l’infini.
Il ouvrit les yeux. Pas une seconde ne s’était écoulée et il se trouvait exactement au même endroit où il se tenait auparavant, serrant toujours l’Epée Runique qui brillait maintenant comme si elle avait été forgée par les étoiles elles-mêmes. Il avait conscience de chaque fibre de son corps, de chaque os et de chaque nerf récuré et poli par une énergie s’écoulant librement au travers de son corps comme un flot clair et rapide. Il avait l'impression de renaître.
Le Fylgia parla dans son esprit. « Âme de mon âme. Je ne fais plus qu’un avec toi maintenant. Je suis satisfait. Tu as su me trouver une place digne dans ton esprit aussi je bougerai quand tu bouges, je penserai ce que tu penses et je verrai ce que tu vois. »
Vannemir scruta les alentours, ses yeux voyant plus qu’ils n’en avaient jamais vu, comme s’il pouvait appréhender l’essence des êtres vivants. Le campement orque plus loin brillait justement de toutes formes de vie.
« Etonnant. » se dit-il. Il se sentait capable de bondir par-dessus les arbres. « Comment dois-je t’appeler ? »
« Isa. » répondit la voix.
« J’ai beaucoup d’
orques à occire, Isa. Des objections ? »
« Je suis aussi un prédateur. » ronronna le Fylgia.
« Bien. Allons-y. »
Vannemir marcha entre les arbres tout comme le léopard des neiges se mouvait dans sa tête. Ses sens étaient décuplés et il voyait au-delà de ses compétences humaines. Il avança, aussi discret qu’un fantôme, neutralisant deux gardes avec ses mains nues. Ses mouvements étincelaient, nourris par la force spirituelle du Fylgia et sa force était inimaginable : la nuque des gardes se brisait comme une brindille. Il percevait Isa en lui, sa nature bestiale se révélant à la chasse, et savait instinctivement, contre toute raison ou logique, où frapper et où aller. Ils se mélangeaient comme deux ruisseaux. Où s’arrêtait-il et où commençait Isa, Vannemir n’aurait su le dire.
Il n’y avait pas de route facile ou secrète jusqu’au campement torgash, alors Vannemir emprunta le chemin le moins gardé. Il escalada la façade de la colline et bondit du sommet de la caverne pour atterrir dans un des feux de cuisine, percutant les bûches dans un déluge d’échardes et de braises s’abattant sur les orques rassemblés autour. Il y eut un rugissement et une odeur de chair d’orque brûlée alors que Vannemir décrivait des arcs mortels avec l’Epée Runique, taillant proprement bras, jambes et têtes.
Isa entendait beaucoup de choses grâce à son ouïe d’esprit et Vannemir savait, nul ne sait comment, où ses ennemis se trouvaient par rapport à lui, malgré l’obscurité, évitant des coups qu’il n’avait aucun moyen de voir venir. L’épée chantait dans le même temps qu’elle découpait un chemin macabre au travers des Torgash enragés. Dans la panique, les Grak tirèrent des flèches à l’aveuglette, blessant ainsi les leurs. Des haches s’abattaient sauvagement sur des cibles à qui elles n’étaient pas destinées. Puis un hurlement éclata depuis la caverne car les gardes avaient alerté leur seigneur Guldark. Vannemir entendit l’imposant orque fou furieux alors qu’il surgissait dans une colère bouillante à l’entrée de la caverne. Vannemir devait agir vite. Même avec sa condition décuplée, il commençait à sentir sa vigueur s’amenuiser et ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’il ne subisse le contrecoup. Vannemir circula dans le camp, causant la mort, cherchant quiconque n’était pas orque, jusqu’à ce qu’il les trouve, reliés par des chaînes et couchés dans la neige, c’étaient deux filles, une humaine et une elfe. Elles le regardèrent, effrayées. Il avança et brisa la chaîne qui les maintenait au sol.
« Courez ! » cria-t-il. « Réfugiez vous dans les bois ! » Les deux filles ne bougèrent pas, paralysées par la peur.
Isa l’avertit mais son attention était rivée sur les prisonnières. Il essaya de bouger, mais une entaille béante s’ouvrit de son épaule à son dos. Il virevolta sous le choc alors que l’orque lui souriait largement, reniflant le sang. Vannemir tituba et tomba sur un genou pendant que les orques se ruaient pour l’entourer. Il haleta de douleur. En avait-il fait assez ? Les prisonnières seraient-elles en sûreté ? Les orques les retrouveraient assurément et également Pik ; le pauvre garçon n’avait pas la moindre chance de s’échapper par lui-même. Il commença à sentir la douleur et la frustration monter en lui alors qu’il essayait de se relever. Puis il sentit Isa drainer l’énergie de la terre pour lui insuffler le pouvoir de croissance de la nature. Sa blessure refermée, Vannemir était debout.
Les Orques restèrent béats pendant un moment. Ce qui aurait du être une blessure fatale avait disparu devant leurs yeux et il subsistait juste une fente dans son armure. Avant qu’ils ne reprennent leurs esprits, Vannemir sauta dans les airs par-dessus leur tête, atterrissant en dehors du cercle, au moment où Guldark sortait de la caverne, suivit par une
shamane orque qui secouait des os et respirait comme un wombat.
« Qui ose ?! »gronda Guldark, brandissant sa lourde masse.
Vannemir se tint devant lui, l’Epée Runique émettant un bourdonnement menaçant. « Je prends tes prisonniers. Chacun d’eux. Et tu vas m’autoriser à traverser ton campement entier pour chercher ceux cachés, puis je partirai et je te laisserai la vie sauve. Sinon, toi et ta bande crasseuse de chiens meurtriers peuvent combattre mais je teinterai alors les neiges du rouge de votre sang putride. »
Gurlak rugit comme un grizzly et ses yeux étincelaient de furie. « Je vais réduire des os en miettes ! Reculez, orques de Torgash ! Le grand porc est à moi ! » Guldark brandit sa masse alors que le reste du camp formait un large cercle autour d’eux ; Guldark y pénétra avec la volonté d’écraser Vannemir comme un insecte.
« Prends garde, seigneur de guerre ! » croassa la shamane. « Celui-là porte la marque d’un Fylgja sur lui. Il est plus qu’humain. »
« Bah ! Il mourra aussi simplement qu’un porcelet ; en hurlant ! » Guldark se rua sur lui comme un taureau enragé, sa masse meurtrière brandit derrière sa tête.
Vannemir pensait que ce serait la partie facile, quand un arc d’énergie rouge crépita de la griffe tendue de la sorcière, le transperçant comme une flèche. Il sentit subitement l’énergie l’abandonner comme si le poids d’une montagne s’abattait sur ses épaules. Il luttait pour rester debout quand la massue de Guldark fendit l’air, le heurtant avec la force d’un kraken polaire. Il sentit ses os se séparer alors qu’il était propulsé dans les airs tel la pierre d’une catapulte. Il pu entendre la sorcière caqueter alors qu’il passait au-dessus de sa tête, atterrissant en tas, haletant à chaque respiration sanguinolente. Il sentit Isa puiser à nouveau l’énergie de la terre pendant qu’il se redressait sur les genoux, ses os et ses tendons se ressoudant douloureusement juste à temps pour rouler hors de la trajectoire d’un coup colossal qui laissa un trou dans le sol suffisamment grand pour y mettre un cheval.
Il sautillait agilement autour de Guldark qui s’agitait sauvagement au-dessus de sa tête. Il entendit un autre sort grésillant être lancé derrière lui, suivi par éclat de rire sifflant. Vannemir sentit son corps geler comme s’il était pris dans la pierre. Il essaya de bouger avec chaque once de sa force mais sans succès. Il recula inévitablement comme Guldark le blessait et le rossait de nouveau, envoyant Vannemir voler dans la foule des orques, provoquant une gigantesque clameur de joie. Vannemir revint à lui puisqu’Isa reformait son corps fracassé. Il pouvait sentir son énergie décliner quand Guldark déboula sur lui, bousculant la foule enthousiaste des voyous torgash. Vannemir se précipita entre les troncs d’arbre qui servaient de jambes à Guldark et fondit sur la sorcière. Un orque s’interposa entre eux uniquement pour être coupé en deux par l’Epée Runique. La shamane leva sa griffe à sorts juste pour la voir voltiger dans les airs comme un oiseau difforme, suivi de près par sa tête ridée.
Guldark le chargea, sa masse couverte du sang de Vannemir, et asséna un coup dévastateur, mais Vannemir bondit en l’air et atterrit plein de force avec L’Epée Runique perforant Guldark de part en part. Le corps du seigneur s’entrebâilla comme la grotesque gueule d’une horrible bête et du sang s’éparpilla autour alors que les Torgash avaient le souffle coupé par la carcasse de leur meneur déchu.
« Restez ici et j’ornerai cette caverne avec vos entrailles, racaille Torgash. » Vannemir trônait, un peu cramoisi et éclaboussé de sang, sur le corps secoué de spasmes de Guldark.
Les Torgash détalèrent comme des lapins.
Vannemir retrouva les filles blotties l’une contre l’autre dans la forêt et les ramena à l’endroit où Pik attendait anxieusement. Voir la joie des frère et sœur comme ils pleuraient et s’étreignaient était comme un baume qui élevait à un autre niveau et une autre dimension. C’était comme si la soif de sang et la folie de Vannemir avaient valu cette peine et qu’il s’en était absolu. Il resta avec l’elfe et regarda Pik et sa sœur se serrer dans les bras, Pik remerciant Vannemir avec profusion. Ensuite il regarda l’elfe et tira pour elle une couverture de son sac. Elle la prit et s’enveloppa dedans. Elle sourit et dit quelque chose dans le magnifique et lyrique langage elfe.
« Je t’en prie. » répondit-il, ne comprenant pas ses mots. Il l’observa un moment : adorable, les cheveux sombres, il se dégageait quelque chose d’elle, quelque chose d’à peine dissimulé, émergeant tout juste de cette jeune elfe qui paraissait capable et puissante. Elle resta debout derrière lui et dit quelques mots chantant et posa une main sur son bras, souriant. Elle tourna ses yeux vers Pik et sa petite sœur blottis ensemble et dit quelque chose de merveilleux.
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