INTRODUCTION :
Je suis un vieux joueur de Magic, ceux de la génération sacrifiée, qui ont découvert le jeu au milieu des années 1990. Trop jeune pour avoir connu l’époque du Power Nine et des premières extensions aux cartes mythiques, trop vieux pour débuter dans le contexte d’un jeu structuré aux règles codifiées, avec des tournois réguliers et une impressionnante communauté de joueurs pour progresser, bénéficiant outrancièrement des nouvelles technologies pour se faire. Notre génération a principalement exercé à l’époque des cartes pourries – Bloc Ice Age / Bloc Mirage – où les nouveaux mécanismes d’une extension étaient aussi nullissimes que l’entretien cumulatif ou le déphasage. Aussi, je me propose d’analyser que des cartes de mon époque, dans leur contexte historique, ceci sans le moindre intérêt pédagogique. Il s’agit juste de vous faire vivre quelques tranches d’histoire, afin que les plus jeunes puissent avoir une idée de ce qu’était magic au siècle précédent et que les anciens se rappellent avec nostalgie de leurs débuts.
***CHEVAL DE FOUDRE***
PRÉSENTATION :
Le cheval de foudre est une carte apparue à l’été 1997 dans la dernière extension complétant le "stand alone" Mirage, j’ai nommé : Aquilon.
Respectons un petit peu le fil conducteur d’une analyse normale, et présentons la carte :
Nom : Cheval de foudre (Thundermare, en VO)
Cout d’invocation :
Type : créature
Sous-type : élémental et cheval
Force/Endurance : 5/5
Capacité : Célérité
Quand le Cheval de foudre arrive sur le champ de bataille, engagez toutes les autres créatures.
Dès sa sortie, elle fut l’un des fleurons de l’extension. Sa capacité statique, la célérité, n’était pas courante. A l’époque, beaucoup des noms génériques de capa statiques utilisées aujourd’hui n’existaient pas, comme la célérité. On disait « unaffected by summoning sickness » quand on voulait se la péter anglophone, ou plus prosaïquement « n’est pas affecté par le mal d’invocation, con » dans ma Provence natale.
Les créatures pouvant attaquer dès leurs arrivée en jeu se comptaient sur les doigts d’une main (allez, deux, pour les puristes) essentiellement en rouge, mais pas seulement. La plus célèbre était la
Boule Fulgurante, apanage des riches, cotée à pas moins de 80 Francs pièces (12 €) !! Inaccessible pour le budget d’un lycéen moyen (si, si, je vous assure…). Mais l’extension précédente avait vu l’émergence d’une très bonne carte avec la célérité : le
Pisteur des sables viashino. Nous étions donc familiarisés avec le potentiel intrinsèque de cette capacité.
Mais ça ne s’arrêtait pas là : en plus de la célérité, le cheval de foudre possédait une capacité déclenchée, effective au moment de son arrivée sur le champ de bataille : toutes les créatures en jeu devenaient engagées. On avait trouvé là un redoutable finisseur dans les jeux slighs rouges. L’assurance si le sort n’était pas contrecarré d’infliger 5 points de dégâts minimum à l’adversaire pour 6.
JOUER AVEC :
Cette carte agît sur moi comme une révélation : à l’époque, je m’étais conditionné à jouer un deck obligatoirement bicolore. Adolescent de naturel complexe, j’avais décidé de résoudre la quadrature du cercle en jouant rouge/bleu : des contres et des blast. Ce type de jeu ultra-séduisant sur le papier n’a jamais fonctionné en vrai et je n’ai pas fait exception à la règle.
J'eus donc l'idée d'optimiser mon rouge/bleu en en faisant un deck strcuturé plutôt qu'une simple accumulation inefficace de blasts et de contres. Car le cheval, par définition véritable finisseur, pouvait s'avérer une redoutable carte de contrôle avec Fumée :
Plus permissif que
Stase puisque permettant tout de même de dégager des permanents non créatures, Fumée laissait aussi la possibilité de dégager une créature par phase de dégagement. En intégrant quatre
Bascule, surtout utile pour engager la seule créature dégagée par l'adversaire pendant son tour, on pouvait rapidement s'assurer une supériroté sur le champ de bataille et tuer rapidement l'adversaire, en intégrant les rares créatures bleues de l'époque pourvues de la Vigilance, telles
Faucon des calanques et
Faucon du zéphyr et le
Pisteur des sables viashino qui remontait dans ma main après avoir attaqué, faisant du cheval de foudre la seule de mes créatures nécessitant d'être dégagée. Voilà à peu près ce que donnait mon rouge/bleu retravaillé :
4
Contresort
4
Déni des arcanes
4
Bascule
4
Faucon des calanques
1
Cheval de foudre
3
Fumée
4
Faucon du zéphyr
4
Pisteur des sables viashino
4
Foudre
4
Incinération
4
Diamant du feu
10 Montagne
10 Îles
J’avais eu le cheval pour pas cher, 20 Francs, une belle affaire ! Tous les dégâts directs et les contres étaient issus de précédents investissements. Ce qui m’a coûté le plus cher, après avoir vainement tenté d’acheter une boule fulgurante, ce sont les 4 pisteurs, qui étaient très joués dans mon canton (les cotes pouvaient varier d’une ville à l’autre, d’un lycée à l’autre, selon le métagame propre à chaque endroit. Souvenez-vous qu’internet n’en était qu’à ses balbutiements). A noter que j’ai dû prostituer mon cerveau et échanger une rédaction de français contre les 4 diamant du feu, nécessaires pour accélérer mes sorties.
Si l'idée de départ m'avait parue bonne, le jeu que j'en avais fait l'était bien moins. Ainsi le cheval de foudre imprima en moi une petite révolution puisqu'il me convainc de scinder mon beau rouge/bleu bicolore en deux decks monocolores bien distincts. Je décidai aussitôt de construire un mono rouge blast/créature avec mon argent de poche. Il se présentait à peu près ainsi :
4
Foudre
4
Incinération
4
Pillards gobelins de Mons
4
Berserker nain
2
Pisteur des sables viashino
4
Orques de la griffe de fer
4
Conscrits orques
4
Boule de feu
4
Desintégration
1
Cheval de foudre
1
Dragon Shivan
4
Diamant du feu
20
Montagne
Ce furent mes premières heures de gloire ! Moi l’éternel looser rouge/bleu, la risée du lycée, enfin je parvenais à gagner des parties !
(NDM: voici un article sur l'utilisation de Torchelin, donc bien après les péripéties de l'auteur, avec un deck "plus costaud" prenant légèrement le même principe, notamment l'utilisation de Smoke... et de Cheval de Foudre
en 4 exemplaires.)
Pourtant je déchantai bien vite. L’équilibre général du jeu était précaire. Je ne savais plus si je devais attaquer d’emblée où gérer pour attendre le cheval. Je déjouais complètement, jusqu’à faire du contrôle avec du rouge ! Je perdais mes petites créatures sur les phases d’attaques adverses, j’usais les blast pour détruire des créatures insignifiantes mais que je ne pouvais plus bloquer… Bref, ça ne fonctionnait pas.
COMBO :
Si ces decks me permirent de connaître l’enivrement de la victoire, ils démontrèrent cependant leurs limites. Et si je découvris que l’emporter de temps en temps était quand même sympa, gagner souvent l’était encore plus ! Ainsi le cheval de foudre fut une véritable pierre d’achoppement dans ma vie de joueur de magic. C’est par lui et avec lui que je gagnais mes premiers galons de deck builder !
Tout commença lorsque je découvris au détour d’un classeur un rituel rouge Visions dont je n’avais pas entendu parler : l’Assaut implacable !
Pour 2 rouges et deux incolores, ce sort permettait de dégager chaque créature ayant attaqué ce tour-ci et de déclarer une nouvelle phase d’attaque. Le potentiel était énorme. Pour autant, l’effet était toujours limité par le fait que le cheval de foudre engageait toutes les créatures, y compris celles se trouvant sous mon contrôle. Mais une petite commune allait tout changer et me ramener progressivement vers le bicolore, mais cette fois-ci avec une couleur alliée. Cette petite commune, en vert, était Vitalité.
Ainsi, je pouvais accumuler les créatures au fil des tours, lancer le cheval de foudre, dégager aussitôt mes créatures avec la vitalité, attaquer sans la moindre crainte d’être bloqué et si ça ne suffisait pas, jouer l’Assaut implacable et attaquer encore. La combo était certes gourmande en mana mais pour le vert, ça n’a jamais été un problème - on frôle bien plus la crise de surproduction que la récession -.
C’est ainsi que je cassais un peu plus ma tirelire pour construire ce deck rouge/vert qui, de mémoire, devait donner à peu près ça :
4
Elfes de Llanowar
4
Elfes cordelliens
3
Ancêtre cordellien
1
Cheval de foudre
3
Précepteur matérialiste
2
Assaut implacable
4
Foudre
4
Incinération
4
Croissance gigantesque
4
Grizzlis
3
Abeilles tueuses
4
Vitalité
10
Montagne
10
Forêt
C’était le pogrom, le génocide, l’holocauste ! J’engageai un maximum d’elfes pour jouer le cheval. Puis venait la vitalité qui dégageait mes elfes. J’avais ainsi le mana nécessaire pour jouer l’assaut implacable, lancer des croissances gigantesques ou des blasts, booster les abeilles tueuses…
J’étais devenu la terreur du lycée ! Dans chaque recoin de la salle d’étude on me craignait. Les surnoms ont commencé à fleurir ! On m’appelait le cheval fou, le cheval fougueux, l’étalon… ça finissait par arriver aux oreilles des filles, titillant leur imaginaire : de quoi légitimement espérer me déflorer avant le bac !
JOUER CONTRE :
C’est à partir de ce moment-là que les mecs se sont mis à métagamer à donf’. Je les voyais, regard fourbe, rire en coin, préparer leur mauvais coup. Ça a commencé doucement d’abord. On s’est mis à splasher vert pour jouer brouillard et se sortir de mes rushes sans le moindre dommage.
Puis petit à petit ils se sont révelés aussi bons deckbuilders que moi, ont cessé de subir et proposé des jeux alternatifs.
J’ai d’abord eu beaucoup de mal contre le bleu, qui gérait tout ça sans problème. Mon beau cheval ne sortait plus, pris dans la tourmente d’un contresort ou d’un siphon d’énergie.
Y’a ceux qui ont joué noir, avec Hymn to Tourach et Black Vise. Je me retrouvais les mains vides, sans rennes, pour conduire mon cheval fou...
Y’a ceux qui ont joué weenie white ultra rapide. Avec
Lions des savanes, et toute cette flopée de
Chevalier blanc ou
Ordre du bouclier blanc , les gendres idéaux de Magic, protégés contre le noir et les cheveux secs, tous boostés par la
croisade contre "cheval fou".
Et il y eut ce jour fatidique où, fatigué de mes échecs, j’ai voulu me ressourcer contre Vincent, un pauvre gars encore moins fortuné que moi avec un jeu pourri. J’allais vers une victoire facile, sans panache, mais j’avais besoin de ressentir encore un peu l’extase des courses effrénées à travers les éclairs.
La partie s’engage. Je pose le
cheval de foudre et j’envoie
vitalité. La vulgaire
Salve d'antimagie placée dans sa main qui n’avait rien pu faire contre le coût converti de mana du thundermare la contra aisément.
Dépité, je décidai tout de même de lui morde dans le lard et lui infliger 5PV avec le cheval.
Et soudain, tout a basculé...
Je n’avais pas prêté attention à l’artefact qu’il avait posé quelques tours avant tellement il m’avait paru insignifiant : la sphère-chimère.
En réponse à mon attaque, il activa la capacité de la sphère. L’artefact pas concerné par la capacité déclenchée du cheval se transforme en créature, et bloque. Il vole en éclat, dans un tourbillon de flamme. Mais la réalité est là, je n’ai mordu que du vent... L’appétissant lard de mon adversaire est resté hors de portée. Une fois de plus, Wotc avait bien fait les choses, prévoyant dans la même extension que le cheval de foudre la carte permettant de le gérer.
Le rouge destrier que j'avais cru invincible s'était fait bloqué par une vulgaire pièce de métallerie désarticulée...
ANALYSE EXTRA :
Évoquer ses souvenirs douloureux me fait encore mal, aussi ne vais-je pas m'attarder sur l'analyse extra, qui ne ferait que contribuer un peu plus à me ramener en arrière.
Cartes ressemblantes :
Il y eut quelques pincements au coeur, je le concède, quand en ouvrant un booster Chaos Planaire je suis tombé sur le cheval des forêts :
Oh certes on l'avait quelque peu grimé (en vert; surtout), modifié ça et là quelques détails (cout de lancement, Écho...) mais la ressemblance sautait aux yeux. Je ne crois pas au destin, mais difficile de voir autre chose qu'un clin d'oeil facétieux du hasard dans le fait que parmi toutes les rares de Planar, il fallait que je tombe sur celle-là...
Et dans le même genre, version gobeline, à mon avis bien plus efficace, nous avons bien entendu le Mogg hurleur :
Enfin, il est bon je pense de faire un passage par la VO pour comprendre une ressemblance intrinsèque à leur appelation commune entre
Thundermare et
Nightmare
.
Nightmare, cheval de cauchemar en VF, est une des plus anciennes créatures de Magic, apparue dès l'édition Alpha. Elle est issue d'un jeu de mot entre "Nightmare" qui signifie cauchemar en anglais, et "mare", qui signifie jument. Si vous vous êtes toujours demandé pourquoi Wotc assimilait un cauchemar à un cheval, vous avez un premier élément de réponse.
Partant de ce postulat, les magiciens de la côte ont régulièrement créé d'autres créatures d'inspiration chevaline, chaque fois avec la même base linguistique, accouchant de jeux de mots plus ou moins heureux...
C'est ainsi que, dans le sillage de
Nightmare, en plus de
Thundermare et de
Timbermare, déjà vu plus haut, sont nés
Spitemare et
Wispmare.
STORYLINE :
Le point de départ de la bande à
Gerrard Capashen en même temps que l'épilogue du bloc Mirage. Un nouveau continent (Djamuraa), une lutte géopolitique tripartite (Zhalfir, Femeiref, Suq'Ata) avant l'Union Sacrée proclamée contre l'ennemi commun
Kaervek l'impitoyable. Je vous invite à lire les articles de la rubrique storyline pour de plus amples informations.
Les forces en présence :
Difficille de voir dans ce pitch autre chose que l'allégorie de la Trinité unie contre les forces du mal, un classique des philosophies occidentales comme orientales (la
Trimûrti, en Inde). Comme quoi on peut être un jeu apparement aux antipodes des cultures narratives traditionnelles et pourtant reprendre les grands canons du récit héroïque.
Kaervek, l'allégorie du Mal
Historiquement, le 20ème siècle est aussi une référence en matière d'alliance tripartite, spécialement lors de la première guerre mondiale où s'affrontèrent Triple-Entente et Triple-Alliance, dans un des conflits les plus meurtriers de tous les temps.
Illustrations de la Triple-Entente et de la Triple-Alliance au moment du conflit de 1914
ILLUSTRATION :
Il y en eût deux, celle de Portal et celle d'Aquilon reprise en 9ème.
Dans les deux notre cheval est superbe d'allure, robe incandescente nimbée de flammes. Bob Eggleton, son auteur, a surement pris plaisir à dessiner les belles lignes saillantes de la plus belle conquête de l'homme.
Bob Eggleton himself
Bob ne fut pas un des illustrateurs les plus prolifiques de notre jeu préféré. Reconnaissons-lui tout de même le dessin d'au moins un spoiler, le drâkon clinquant :
Son style est aisément reconnaissable, particulièrement visible à la cambrure du cou des créatures qu'il dessine (le cheval de foudre n'y fait pas exception, particulèrement sur l'illustration 9ème/Aquilon). Quelques exemples de ce que j'avance :
TEXTE D'AMBIANCE :
Les éclairs jaillissent de ses sabots, et le tonnerre suit toujours.
Bâclé, selon moi. Aucune poésie, aucun rythme, une métaphore en bois. A oublier.
ÉPILOGUE
Ainsi s’acheva dans la tristesse la plus belle histoire d’amour de ma jeunesse. L’automne était arrivé et Tempête venait de sortir, présageant de superbes nouvelles perspectives de jeu. J’ai rangé mon cheval de foudre dans mon classeur et ne l’ai plus touché.
Et un beau jour que je repris Magic pour la cinquième fois après deux ans d’absence, en ouvrant mon classeur à l’onglet « Aquilon », j’ai vu qu’il n’y était plus, mon beau cheval de foudre. J’ai dû l’échanger sans m’en souvenir aujourd’hui. Oh j’ai bien pensé à le racheter pour entretenir la nostalgie mais à quoi bon ? Ce n’aurait pas été le même et quand une histoire est finie, il ne sert à rien d’en conserver les reliques, forcément douloureuses. Je ne sais pas ce qui a bien pu me passer par la tête le jour où je l’ai échangé. Sans doute ais-je voulu clore un jour de pluie cette folle passion, dont il ne restât rien que quelques miettes d’une douloureuse chimère, en forme de sphère…